La réconciliation
Jean-Marc Fournier avait pourtant l’air décidé, jeudi dernier, quand il menaçait de s’adresser aux tribunaux si le gouvernement fédéral augmentait la garantie de prêt qu’il a déjà consentie en 2013 à Terre-Neuve pour financer le projet hydroélectrique de Muskrat Falls, qui se dirige tout droit vers un désastre. « Une décision inexplicable et inacceptable », disait le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes. Une « concurrence déloyale » pour Hydro-Québec, qui n’a jamais pu compter sur l’aide fédérale.
Jean-François Lisée exige une compensation. Compte tenu de sa population, l’équivalent de l’économie d’emprunt de 1,5 milliard réalisée par Terre-Neuve serait de 23 milliards pour le Québec, a-t-il calculé. Qu’un chef du PQ songe même à solliciter la participation d’Ottawa au financement des infrastructures d’Hydro-Québec a de quoi étonner. Si le fédéral ne l’a jamais fait, c’est qu’on n’a jamais voulu l’associer de près ou de loin à ce joyau de notre patrimoine.
Dans une lettre publiée en début de semaine, M. Fournier a d’ailleurs fait une remarquable volte-face. Plus question de poursuites ou de compensation. « La voie de l’avenir réside non pas en la judiciarisation du passé entre nos deux provinces, mais plutôt dans un dialogue constructif ouvert sur l’avenir envisageant une collaboration pour la mise en valeur de nos ressources hydroélectriques respectives. Il faut éviter d’ériger nos concitoyens les uns contre les autres, mais plutôt travailler à les rassembler en cherchant une formule avantageuse pour tous », écrit-il.
La lettre de M. Fournier ne précise pas jusqu’où pourrait aller cette collaboration. C’est peut-être du bla-bla bon-ententiste de pure forme, mais cela peut aussi être interprété comme une invitation à entreprendre des discussions qui, au-delà du cas de Muskrat Falls, pourraient inclure le vieux contentieux autour du contrat de vente de l’électricité produite par la centrale de Churchill Falls, qui empoisonne les relations entre Québec et Terre-Neuve depuis des décennies.
Ce contrat signé en 1969 engageait Hydro-Québec à acheter jusqu’en 2041, et à un prix dérisoire, la totalité de l’électricité de Churchill Falls, qu’elle revend depuis avec un profit qui en a fait un véritable marché de dupes pour Terre-Neuve. Ses gouvernements ont eu beau multiplier les recours devant les tribunaux, ce contrat n’a jamais pu être invalidé.
« Et si, au lieu de rester figé dans le passé chacun de notre côté, on se retroussait les manches pour préparer l’avenir ensemble ? » demande M. Fournier, qui invoque maintenant la nécessité de lutter contre les changements climatiques.
Quand Ottawa avait accordé une première garantie de prêt à Muskrat Falls, en 2011, Stephen Harper avait aussi fait valoir cet argument, mais le premier ministre Charest n’avait rien voulu savoir. Si le gouvernement fédéral avait de l’argent à investir dans la lutte contre les changements climatiques, il pouvait toujours financer des projets de train rapide entre les grandes villes du pays, avait-il répliqué. Il est vrai qu’en matière de GES, M. Harper n’était pas très crédible.
Les relations n’étaient guère meilleures avec Terre-Neuve, où le premier ministre Danny Williams, qui n’avait toujours pas digéré le contrat de 1969, avait ameuté tout le pays contre la tentative d’Hydro-Québec de faire l’acquisition d’Énergie Nouveau-Brunswick, présentée comme une nouvelle manifestation de l’impérialisme québécois.
Comme on le sait, le premier ministre Couillard chérit au plus haut point les « valeurs canadiennes » qui, à entendre la ministre des Finances de Terre-Neuve, Cathy Bennett, devraient nous inciter à « soutenir nos voisins ». Il ne demande sûrement pas mieux que d’afficher sa fibre canadienne.
Remarquez, il n’y a rien de mal à jeter « un regard nouveau sur nos relations », comme le propose M. Fournier, ne serait-ce qu’à titre exploratoire. La meilleure façon d’écarter le gouvernement fédéral du dossier serait peut-être de réexaminer celui-ci dans son ensemble, y compris le contrat de 1969.
Le Québec serait en bonne position pour négocier. La Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec viennent toutes deux de réitérer la validité du contrat pour les 25 prochaines années. Selon toute probabilité, la Cour suprême le confirmera si on lui demande son avis. D’autre part, la bonification de la garantie de prêt consentie par Ottawa n’empêchera pas les coûts de production de l’électricité produite à Muskrat Falls d’excéder très largement les prix courants pendant encore longtemps.
Que le Québec soit devenu indépendant ou qu’il soit toujours membre de la fédération, Terre-Neuve sera encore notre voisin en 2041 et le bon voisinage a ses avantages. Il n’est peut-être pas trop tôt pour amorcer la réconciliation.