Surveiller le surveillant

Dans une société régie par le droit, la surveillance policière est un mal nécessaire. On s’en accommode parce qu’on nous promet qu’en dotant les policiers des moyens d’enquêter, on va prévenir et élucider des crimes. Mais pour être digne de confiance, la surveillance policière doit être elle-même surveillée ! Quand les processus par lesquels on surveille les surveillants sont dysfonctionnels, nous perdons confiance.

La confiance est un ingrédient essentiel de la légitimité. Il faut que la population ait l’assurance que la surveillance policière est effectuée uniquement lorsque des motifs très sérieux la justifient. C’est cette confiance qui est hypothéquée lorsqu’on apprend que des journalistes sont épiés sans qu’on ait pris les précautions nécessaires.

La surveillance mal encadrée menace non seulement la liberté de presse, mais aussi la vie privée de tous, et elle mine la confiance envers les institutions.

 

Le juge qui est chargé d’examiner les mandats de surveillance a pour tâche de vérifier le bien-fondé et la raisonnabilité des intrusions. Mais si la vigilance se relâche, la porte est grande ouverte aux abus. Encore pire lorsque pointent des indices que des considérations politiques entreraient en jeu.

Le rapport entre le processus judiciaire et la confiance est ici crucial. La population doit pouvoir tenir pour acquis que le juge dispose des moyens, de la connaissance et de l’indépendance afin d’assurer une réelle supervision des activités de surveillance. Si ces conditions ne sont pas réunies, les activités de surveillance policière perdent leur légitimité.

C’est dire l’ampleur de la catastrophe. La régulation judiciaire est ce qui garantit que la police ne dépasse pas ce qui est absolument nécessaire pour faire son travail. Si le contrôle par le juge s’avère défectueux, c’est la confiance dans le système qui s’écroule.

Mécanismes plus conséquents

 

Mais il y a plus : dans l’univers numérique où le moindre objet peut être connecté à Internet, il faut des mécanismes encore plus conséquents de supervision des activités de surveillance.

La supervision judiciaire doit être adaptée aux mutations majeures de l’environnement informationnel de nos vies quotidiennes. Les capacités de collecte et de traitement d’information que comportent les moindres appareils numériques impliquent des enjeux radicalement différents de ceux de l’écoute téléphonique au siècle dernier.

Au cours des années récentes, le Parlement canadien a étendu considérablement les possibilités de surveiller et de recourir à des méthodes de détection fondées sur les moyens technologiques. Mais on n’a pas vraiment mis à niveau les garanties devant accompagner la surveillance dirigée vers les objets numériques. Les dispositifs connectés que nous utilisons au quotidien produisent et transmettent beaucoup d’informations relatives à notre vie privée et à celle des autres.

Le modèle actuel de surveillance judiciaire avait du sens à l’époque où la surveillance concernait surtout les écoutes téléphoniques. Désormais le Code criminel permet aux policiers d’obtenir des données de localisation au moyen d’un dispositif de localisation, d’enregistrer des données de transmission et d’effectuer de la vidéosurveillance.

En plus, une disposition à caractère général du Code criminel permet à un juge d’autoriser un policier à utiliser un dispositif ou une technique ou une méthode d’enquête, qui constituerait sans cette autorisation une fouille, une perquisition ou une saisie abusive à l’égard d’une personne ou d’un bien.

La compatibilité de certaines de ces dispositions avec les garanties constitutionnelles n’a pas encore été tranchée par les tribunaux. Le processus par lequel s’effectue le contrôle judiciaire de constitutionnalité en ces matières est en lui-même problématique : il faut attendre qu’un justiciable suffisamment solvable conteste la validité de la surveillance qu’il a subie. Encore aujourd’hui, on s’en remet à une décision de 2007 (Cody c. R., 2007 QCCA 1276) pour affirmer que des filatures à distance seraient compatibles avec les protections constitutionnelles.

La régulation judiciaire des activités de surveillance policière prévue au Code criminel n’a pas été mise à niveau de manière à refléter les enjeux des outils numériques d’aujourd’hui. Les abus auxquels elle paraît avoir donné lieu à l’égard des journalistes révèlent la nécessité d’adapter le cadre de la surveillance en tenant compte du contexte de la société numérique.

En temps normal, la surveillance des surveillants n’est pas une question qui passionne ! Surtout lorsqu’on croit que la surveillance ne menace que des trafiquants et autres personnages infréquentables. Le fait que des journalistes aient été la cible de pratiques de surveillance aussi étendues a visibilisé le caractère désuet et dysfonctionnel du processus de régulation de la surveillance policière. Une désuétude qui interpelle tous les niveaux de gouvernement.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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