Journalisme et démocratie

La liberté de presse protège le droit du public à être informé de toutes situations qui relèvent de l’intérêt public. C’est pourquoi il est tenu pour acquis que cette liberté assure une protection à l’activité journalistique, celle qui englobe la collecte, le traitement et la diffusion d’informations à l’intention du public. Cette activité ne doit pas souffrir de contraintes indues.

Bien sûr, il faut assurer cette protection de la liberté de presse sans pour autant entraver le fonctionnement du processus judiciaire dont le rôle est essentiel en démocratie. Il est chargé d’assurer l’application des lois. Et pour appliquer les lois, il faut mener des enquêtes, réunir des preuves.

Mais les lois doivent s’appliquer dans le respect des droits et libertés. Les forces de police disposent de plusieurs moyens afin d’obtenir des informations susceptibles de leur permettre d’élucider des allégations de gestes illégaux. Mais elles doivent user de ces moyens en respectant les droits des citoyens.

Or, il se trouve que certaines pratiques des forces de police révélées ces derniers temps laissent craindre que la liberté de presse et le droit du public à être informé de faits d’intérêt public soient lourdement mis à mal.

La saisie de l’ordinateur du journaliste du Journal de Montréal Michaël Nguyen il y a quelques semaines illustrait le réflexe persistant en certains milieux de chercher l’identité de ceux qui relaient des informations d’intérêt public aux journalistes. Un réflexe létal pour la liberté de presse.

La surveillance du journaliste Patrick Lagacé de La Presse révélée aujourd’hui semble procéder du même mobile. Mais elle paraît aller encore plus loin, trop loin. Selon ce qu’on en sait, il s’agit ici de la surveillance étendue d’un vaste ensemble d’activités révélées par le téléphone portable du journaliste.

Quelque chose qui ressemble à une partie de pêche… de la pêche au grand filet !

La Cour suprême a pourtant statué que les Canadiens peuvent raisonnablement s’attendre à la protection de leur vie privée à l’égard des renseignements contenus dans leurs ordinateurs personnels et dans les ordinateurs de travail. Les ordinateurs qui sont utilisés d’une manière raisonnable à des fins personnelles — qu’ils se trouvent au travail ou à la maison — contiennent des renseignements qui sont significatifs, intimes et qui ont trait à l’ensemble des renseignements concernant l’utilisateur.

Au Canada, la Constitution accorde à chaque personne le droit de s’attendre à ce que l’État respecte sa vie privée à l’égard des renseignements personnels de ce genre. C’est pourquoi les intrusions des forces de l’ordre dans ces environnements informatiques ne peuvent se faire à la légère.

Dans ce cas-ci, l’individu ainsi espionné est non seulement un citoyen, mais c’est aussi un journaliste. Un journaliste auquel, sauf erreur, il n’est reproché aucune infraction. Un journaliste dont le métier est de rechercher et de porter à la connaissance du public des informations qui sont de nature à éclairer le public sur l’état des affaires de la Cité.

Ici, la surveillance du journaliste est apparemment motivée par le désir des enquêteurs de trouver les personnes qui « parlent » au journaliste. A priori, parler à un journaliste n’est pas en soi un crime au Canada… du moins pas encore !

Pour justifier une surveillance en apparence si étendue, il faut des motifs clairs, et concordants. La règle qui trouve application en ces matières est celle des motifs raisonnables de penser que les informations que l’on demande d’aller chercher permettront d’élucider une enquête sur un crime effectivement commis.

Habituellement, il faut que les policiers demandant à un juge la permission d’effectuer une telle surveillance détiennent des informations portant raisonnablement à penser que leurs soupçons seront confirmés par l’intrusion qu’ils veulent être autorisés à faire.

Mais à l’égard d’un journaliste, il leur faut présenter une démonstration supplémentaire : il faut expliquer au juge pourquoi la surveillance dirigée vers les personnes que l’on soupçonne de commettre une infraction en « parlant » à un journaliste n’est pas suffisante. Nous sommes en matière de liberté de presse : la seule commodité, le seul confort des forces de police ne sont pas en soi des motifs suffisants pour permettre de si larges intrusions. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il est plus facile « d’attraper » ceux qui commettraient des indiscrétions illégales en surveillant leur confident journaliste que la surveillance de celui-ci devient légitime !

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