Xi Jinping, le demi-dieu
Le grand virage néototalitaire de Xi Jinping se poursuit rondement. Secrétaire général du Parti communiste chinois depuis 2012, président de la Chine depuis 2013, empereur moderne, il s’est fait désigner, la semaine dernière par le plenum du comité central, « coeur » ou « noyau dur » (hexin) du Parti communiste chinois. Autrement dit : l’autorité suprême, la référence ultime. L’incarnation d’un pouvoir immanent, que nul ne doit s’aviser de contester. Un demi-dieu.
Depuis les débuts du régime communiste en Chine, seuls trois personnages avaient été officiellement considérés comme hexin : Mao Zedong, Deng Xiaoping et Jiang Zemin. Et encore ce dernier, beaucoup plus pâle et moins influent que les deux précédents, avait-il été désigné d’autorité par son prédécesseur, en 1989, qui tirait toujours les ficelles (Deng Xiaoping). Nomination tactique en quelque sorte, alors que l’aura des deux autres, véritables figures historiques, s’était imposée de façon naturelle et écrasante, avec un mélange bien chinois de brutalité et de persuasion.
Dans les deux décennies qui ont suivi le règne de Deng Xiaoping, c’est un pouvoir collégial qui s’est installé à Pékin, avec un « Comité permanent », sorte d’empereur à sept ou neuf têtes, qui assumait collectivement les plus hautes responsabilités. Le numéro un (Jiang Zemin de 1993 à 2003, puis Hu Jintao de 2003 à 2013) n’était qu’un primus inter pares. Il restait sous la surveillance de ses « co-empereurs » qui étaient aussi des rivaux… parfois féroces, comme on allait le voir.
Ce furent des années d’immense progrès économique, doublées de l’émergence d’une véritable puissance mondiale, commerciale et diplomatique. Mais ce fut aussi la corruption généralisée des élites, qui prélevaient leurs « 5 ou 10 % » de cette nouvelle et immense richesse ; la constitution de factions régionales, de fiefs jaloux de leurs prérogatives, souvent liés à tel ou tel membre du Comité permanent. Parallèlement à cette décadence des élites (politiques, financières), il y eut un relâchement du contrôle social par le centre, par le parti unique.
Ce qui entraîna, durant la décennie de Jiang Zemin et (dans une moindre mesure) durant celle de Hu Jintao, des « effets pervers » positifs, sur le plan politique, à ce relâchement général.
La presse commençait à devenir autonome et osait traiter de certains sujets délicats ou controversés. Une société civile émergeait, se mobilisant en faveur d’une justice indépendante et de l’émergence d’un véritable État de droit (par exemple : le courageux « mouvement des avocats »). Internet donnait l’espoir de nouveaux débats, de nouvelles mobilisations, plus libres, plus autonomes. On évoquait de véritables réformes institutionnelles, par exemple une éventuelle séparation entre le gouvernement et le parti…
L’autonomination, la semaine dernière, de Xi Jinping comme « noyau dur du Parti » vient symboliser le brutal mouvement de restauration de l’ancien régime qui, depuis son arrivée aux commandes, s’oppose férocement à ce tout qui précède.
Désormais, selon la ligne officielle, toute libéralisation ne peut mener qu’au chaos. Le critère primordial est l’obéissance et la fidélité au Parti et à son chef : Xi Jinping a même fait la tournée des rédactions pour le rappeler aux journalistes. Les intellectuels sont avertis contre le « nihilisme historique », façon de verrouiller tout débat sur les monstrueux cadavres cachés dans l’Histoire officielle de ce pays. La blogosphère est mise sous contrôle par une armée de centaines de milliers de policiers voués à cette unique tâche. On pourchasse les éditeurs indépendants jusqu’à Hong Kong (enclave supposée autonome et plus libre), où on les fait kidnapper.
Xi Jinping peut-il réussir sa révolution néototalitaire, néomaoïste et néoimpériale, dans laquelle le slogan de la « lutte anticorruption » est le paravent d’une tentative de contrôle social sans précédent au XXIe siècle ? Peut-il continuer à plaider pour une économie ouverte — à l’interne comme à l’international — tout en verrouillant comme il le fait tous les ressorts de la liberté politique, intellectuelle, institutionnelle, technologique ?
Depuis maintenant plus de trente ans, la Chine a prouvé au reste du monde que l’autoritarisme politique pouvait aller de pair avec la croissance économique. Avec le concours d’amis comme la Russie, cette conception a même fait des « petits » ici et là dans le monde.
Mais rien de dit que la contradiction a disparu, ni qu’elle ne reviendra pas un jour exploser au nez d’un tyran chinois.