Une plateforme, c’est bien beau, mais…

Il y a un an, jour pour jour, les Canadiens envoyaient à Ottawa un gouvernement Trudeau majoritaire. Séduits par ses nombreux et ambitieux engagements, ils étaient attirés avant tout par une image nouvelle et un ton qui marquait une rupture avec le climat ambiant depuis une dizaine d’années.

Douze mois plus tard, il faut bien un premier bulletin, avec l’inévitable bilan de la réalisation de la plateforme et le portrait des enjeux pour l’année qui vient.

Quelques éléments en rafale. Le dossier urgent dès le départ : la crise des migrants. Le Canada a pu accueillir en quelques mois plus de 25 000 réfugiés syriens, malgré le scepticisme généralisé. L’enjeu délicat par excellence : l’aide médicale à mourir, un projet de loi imparfait, certes, mais une légalisation quand même. Des engagements relativement simples à respecter : rétablir le questionnaire long du recensement, la hausse d’impôt des mieux nantis, la réduction de l’impôt sur les revenus de 45 000 $ à 90 000 $ et l’instauration de la nouvelle Allocation canadienne pour enfants.

Avec ses dizaines de consultations, le gouvernement libéral a mis le couvercle sur plusieurs marmites toutes chaudes, et les attentes montent avec la pression qui s’élève à l’intérieur. La chaleur s’est particulièrement intensifiée dans le dossier de la lutte contre les gaz à effet de serre (GES), avec l’imposition d’un prix sur le carbone, qui va teinter les discussions sur le reste du plan national sur les GES, en plus d’avoir des répercussions sur celles qui portent sur les transferts en santé.

Deux promesses libérales à surveiller cette année : la réforme du mode de scrutin et la légalisation de la marijuana.

Mais, au-delà du survol des éléments de la plateforme, il faut se rappeler la nouveauté et la différence promises par Justin Trudeau, avec ses « voies ensoleillées ». Un ton et une manière qu’il a transposés de la campagne électorale au gouvernement.

Ce n’est pas que la cuvée libérale actuelle ne montre aucune caractéristique de ce qu’on a connu des libéraux en exercice du pouvoir au fil des années. L’exemple des réclamations de dépenses de déménagement vient rapidement en tête. En santé, le premier ministre tient un discours qui nous fait aussi remonter dans le temps. Quant au ton, ceux qui s’amusaient de l’apparente ingénuité politique du chef du gouvernement sont confondus. Justin Trudeau est prêt à déplaire et capable de le faire, s’il le faut. Des proches de Stephen Harper voyaient dans cette faculté une de ses principales forces, on verra le dosage qu’entend y mettre M. Trudeau, mais on sait maintenant qu’il n’en est pas dépourvu, après l’imposition du prix sur le carbone. Et quand M. Trudeau perd patience, c’est plus visible qu’avec M. Harper : demandez à Ruth Ellen Brosseau ainsi qu’aux sénateurs libéraux et aux deux députés visés par des allégations de harcèlement.

Mais on voit, autant au Canada qu’à l’étranger, que la personnalité de M. Trudeau change la première impression laissée par le gouvernement canadien.

M. Trudeau et son gouvernement jouissent d’une popularité persistante à travers le pays et ce n’est pas surprenant quand on regarde ce qui se passe actuellement au sud de la frontière. Les attaques personnelles et les propos sordides sans précédent, y compris les tirs amis en bas de la ceinture, font comprendre aux Canadiens qu’ils échappent à cette déliquescence politique, et l’approche Trudeau incarne bien ce contraste.

Les autres partis, à commencer par les conservateurs, l’ont compris. Rappelez-vous l’empressement des Ambrose, Kenney, Rempel et compagnie à reconnaître la nécessité de changer le ton et le langage, au lendemain de la défaite. En pleine course à la direction, celle qui revient sur les thèmes identitaires qui ont coûté cher à son parti il y a un an, Kelly Leitch, attire l’attention, mais elle a plafonné. Celui qui misait sur la sécurité, ou l’insécurité, nationale, Tony Clement, s’est retiré de la course, faute de financement, donc d’intérêt envers sa candidature, lui qui avait le plus d’expérience.

Les bilans annuels, ceux de la première année d’un mandat comme des suivantes, ont toutefois leurs limites. Avec une croissance lente qui devient la norme, c’est davantage une toile de fond économique qu’un calcul des promesses réalisées, rompues ou abandonnées en cours de route qui pourrait déterminer le choix des électeurs en 2019. Comme le martelait le stratège James Carville aux travailleurs de campagne de Bill Clinton quand il a défait un George Bush père très populaire après la première guerre du Golfe, « It’s the economy, stupid ».

Il faudra donc surveiller maintenant le rapport de ce Conseil consultatif en matière de croissance dirigé par un consultant de renom, Dominic Barton. Attendu d’ici la fin de l’année, ce rapport pourrait bien devenir la rampe de lancement des libéraux vers 2019. Au menu, si on se fie aux participations de M. Barton à différents forums internationaux : libre-échange avec l’Asie, la Chine notamment, des capitaux étrangers pour les infrastructures au Canada et un véritable soutien à l’innovation. Le genre d’initiatives pour faire contrepoids aux tendances mondiales lourdes que le Canada est contraint de subir actuellement.

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