Offrir son vote à la poésie

À l’heure où le manifeste Si j’étais ministre de la Culture de Carole Fréchette sort en librairie, on se demande où la culture se terre dans les têtes politiciennes. Mais si on passait un moment par-dessus celles des ministres de la Culture — obligés de s’y référer de gaîté de coeur ou non — pour viser les chefs de gouvernement ou des partis…

Prenez le poème du premier ministre Philippe Couillard au chef intérimaire péquiste Sylvain Gaudreault, avant son départ du poste la semaine dernière.

 

Applaudie à l’Assemblée nationale, mais critiquée par de nombreux commentateurs, cette performance, inspirée par les alexandrins du Tartuffe au TNM. Plusieurs y ont vu une démonstration d’élitisme ou une parade de façade chez celui qui a plombé le secteur de l’Éducation.

Et si, malgré tout, l’initiative méritait d’être encouragée. Elle m’a ravie, pour ma part, comme quelques jours plus tard la référence à la chanson Mon pays de Gilles Vigneault« Et je m’en vais être fidèle à sa manière, à son modèle » — dans le discours d’investiture de Jean-François Lisée à la tête du PQ. Ça nous changeait un moment des insanités de Trump.

« La poésie doit être faite par tous. Non par un », disait Éluard. L’histoire l’a offerte aux rois comme aux gueux, et tant mieux si des dirigeants d’aujourd’hui, de quelque parti qu’ils soient, qu’on les appuie ou non, démontrent un quelconque intérêt pour elle. C’est si rare par ici.

Sauf qu’à force de se faire taper sur les doigts lorsqu’ils mettent une référence culturelle à leur boutonnière (pas Lisée, il est vrai, avec les paroles de Vigneault passées sous silence), on ne les y reprendra plus. Finis les vers à l’Assemblée nationale ! Place entière au chapelet d’injures assénées. Est-ce bien là notre voeu ?

Lucien Bouchard, plus lettré que la moyenne des ours, avoua durant son passage comme premier ministre s’être gardé d’exhiber ses passions littéraires. Bernard Landry suscite encore les rires pour avoir proféré une phrase en latin, prouvant qu’il avait fait, comme on dit, ses humanités. Mais il n’y a rien de mal à posséder des connaissances ni à avoir connu un meilleur système d’éducation que celui d’aujourd’hui. Le Québec aurait pu depuis sa Révolution tranquille hausser ses critères, inviter tous les élèves au banquet de la connaissance. À force d’abaisser le contenu du cursus scolaire, l’ignorance est devenue un drapeau dans lequel se draper, en gloriole identitaire.

Le mot « élitiste » fait l’effet d’une gousse d’ail brandie devant un vampire affolé.

Arrière Satan !

Leur tendre le luth

 

Malheureuse culture, si mal vue au Québec, quand toutes les sociétés ont leurs intellectuels, leurs artistes respectés en général. Ici, un message est lancé : si les dirigeants veulent rester près de leur peuple, ils ont intérêt à se mettre à niveau. Compris ? Mais c’est l’oeuf ou la poule. Chassée de l’Assemblée nationale et la plupart du temps des grands débats électoraux et discours d’investiture, comment cette culture-là peut-elle se frayer un chemin dans les moeurs des gens ?

Souhaitons-lui de vivre en haut de la pyramide, à titre de modèle, en somme, et si un premier ministre désire se faire un moment troubadour, on lui tendra le luth. Le silence gêné autour des questions culturelles chez nos politiciens se répercute dans l’ensemble des sphères de la société.

Tout entraîne les Québécois vers le bas : la télé, le divertissement glorieux, l’omniprésence des humoristes, les carences de l’école, mais aussi un désintérêt collectif qui commence par celui des dirigeants. Faut-il en plus l’encourager ? Il manque de signaux lancés pour dire à quel point la culture peut être amusante, nourrissante, accessible à tous. Qu’ils y mettent donc du leur.

On s’alarme avec raison du taux d’analphabétisme énorme des Québécois, quand plus de la moitié des 16 à 65 ans peinent à lire. Selon Le Journal de Montréal, seuls 11 % de nos concitoyens peuvent décrypter un texte d’analyse. Quel désastre !

Bien des gouvernements successifs sont responsables de cette situation crève-coeur, à coups de réformes scolaires plus ou moins déficientes. Les libéraux n’ont pas aidé la cause depuis leur retour au pouvoir en maniant le couperet, mais les péquistes, sous leurs règnes divers, n’ont pas poussé assez à la roue de l’éducation, comme le réclamait le bien commun.

Quels que soient les torts de nos dirigeants, on fait fausse route en ridiculisant leur moindre intérêt personnel pour les arts et les lettres. Reprochons-leur de se désengager en culture, en éducation, mais pas de s’y référer.

L’amour des arts, la curiosité intellectuelle aident les gens à penser par eux-mêmes et à tisser des liens entre les multiples informations qui défilent sur leurs écrans. Rien de mieux pour abrutir une population que de la maintenir dans l’ignorance sans lui parler de ce qui élève l’esprit. Cela, le « cheuf » Duplessis, en une autre époque mais sur le même siège, l’aura longtemps compris…

À voir en vidéo