D’une tartufferie à l’autre

Certains soirs, le Tout-Montréal, dans sa faune et sa flore : grosses légumes, lions et moutons, s’assemble en un même lieu pour célébrer ceci ou cela. Des va-et-vient toujours rigolos à observer, avec les apartés d’usage. Ainsi, au 65e anniversaire du TNM, lundi soir. On appréciait le coup de chapeau lancé à deux merveilleuses comédiennes de la cuvée inaugurale de L’avare en 1951 : Janine Sutto et Monique Miller. Molière garde la cote, puisque la première de son Tartuffe (avec encore Monique Miller, impériale, à la distribution) se collait cette semaine à la fête des décennies plus tard.

Des hommes bien baraqués se découpaient à l’allée, au café ainsi qu’à l’intérieur de la salle, gardes du corps en uniforme ou pas, à l’ombre de Philippe Couillard. J’ignore ce que le premier ministre a pensé de la pièce, comme celle qui l’a précédé sur ce siège, Pauline Marois, assise un peu plus loin. Par-delà le côté farce, peut-être y ont-ils trouvé matière à méditer sur les discours creux qui hypnotisent, la manipulation des foules et les fonds mal acquis ; jalons éternels de la vie politique ici ou ailleurs… dans les rangs concurrents, bien entendu. Quoi d’autre ?

C’est bien pour dire, au petit écran, les débats au PQ comme à la course à la présidence américaine nous rappellent à quel point l’opportunisme et les coups bas conservent leur plein impact. Désormais, la démonisation de l’étranger et de l’étrangère, « Cachez ce tchador que je ne saurais voir », remplace les hauts cris du dévot Tartuffe à la vue du décolleté de la servante, et le tour est joué.

Suffit, en somme, de trouver le bon clou à frapper pour aliéner son monde. Plus de 100 ans avant Molière, Machiavel vantait déjà les vertus de la ruse et de l’opportunisme politique afin de régner sans partage. L’être humain ne change guère, sinon les satires du XVIIe siècle le feraient rigoler moins fort. « Ce n’est pas pécher que pécher en silence », proclamait un Tartuffe béat de duplicité.

Luttes de pouvoir

 

Dans l’adaptation du TNM, on peut dénoncer les divers niveaux de caricature des personnages, n’empêche qu’Emmanuel Schwartz, en faux pieux convoitant la fortune et la femme de son hôte, nous aura fait bien rire et que le choc générationnel mis en scène n’a pas d’âge.

En transposant son hypocrite dans le Québec des années 60, Denis Marleau place sur la pièce un couvert d’étrangeté. Rien ne saurait trancher davantage avec les robes à gogo et l’intérieur bourgeois d’une bonne famille de Montréal au XXe siècle que les alexandrins et la langue de Molière, au sens strict du terme, dans la bouche des comédiens. Mais, une fois la convention acceptée, le parallèle fonctionne.

Le pouvoir du clergé déclinait alors chez nous sous le fracas d’une émancipation collective. Comme 300 ans plus tôt au Louvre et à Versailles, les conservateurs affrontaient un vent de renouveau. Au TNM, un petit punch visuel final très amusant sur l’air du succès de Renée Claude, C’est le début d’un temps nouveau, rappelle que les femmes ont pu, lors de la Révolution tranquille, rêver à quelque libération de plus qu’au temps de Molière.

Pourtant, l’objet du scandale renaît toujours sous de nouvelles formes et les tartufferies ont encore de beaux jours devant elles. La reconnaissance de l’égalité des sexes n’est pas pour demain non plus. Molière, à travers son École des femmes surtout, se battait en son temps déjà pour la même cause.

Le courageux dramaturge affrontait aussi le courroux des bigots déchaînés contre son « immoral » Tartuffe, coupable d’avoir jeté bas les masques plaqués sur bien des moines et des prélats de la cour. Louis XIV, attaqué lui-même pour ses moeurs libertines, fit un temps interdire une pièce qu’il aimait, diplomatie oblige.

Disparues, les premières versions d’un Tartuffe souvent remanié par Molière, jusqu’à sa mouture finale de 1669. On se demande quelles répliques ce génie comique a biffées avant de recevoir son feu vert, à la suite, il est vrai, de la défaite des jansénistes, ses plus grands ennemis.

À recommander, en passant, dans l’édition Folio de Tartuffe, en vente partout, la lecture des placets de Molière au roi, où il se justifiait de corriger, par voie de comédie, les vices de son siècle, s’y révélant pas mal Tartuffe dans son art de poser au défenseur de la morale attaqué pour ses vertus. Drôle !

 

Retour en nos terres. Fallait-il vraiment, côté course à la chefferie du PQ, lors du dernier débat portant sur l’éducation et la culture — à l’heure où des générations entières perdent le goût des arts au profit du pur divertissement — ramener l’essentiel des discussions du jour à des questions identitaires et migratoires ?

On me répondra que ces enjeux brûlants frappent les esprits davantage que les déboires de la culture. Allez donc vous étonner si des candidats affichés bien-pensants les brandissent dans l’espoir de ravir la couronne. Le héros de Molière s’y prenait-il autrement pour avancer ses pions, sous des mines de n’y point toucher ? Plus ça change…

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