De Dakar à Madagascar
En prévision du prochain Sommet francophone à Madagascar, fin novembre, j’ai profité du passage de Michaëlle Jean, le week-end dernier, à Montréal pour discuter une heure de l’évolution de la Francophonie.
On ne se le cachera pas : la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, en poste depuis le Sommet de Dakar en 2014, est une verbomotrice. Elle parle tellement vite que j’avais du mal à retranscrire l’enregistrement, même au ralenti. Mais elle parle bien. À tel point en fait que j’en suis ressorti avec du matériel pour deux chroniques, dont celle-ci sur la francophonie économique en attendant la seconde, sur la francophonie politique, à l’approche du Sommet fin novembre.
L’insistance de Michaëlle Jean sur l’économie revient à recentrer la Francophonie sur sa vocation initiale, en 1970, alors que les chefs d’État francophones créaient un espace francophone de coopération par la langue — plutôt que pour la langue. « Senghor, Bourguiba, Sihanouk, Diori se projetaient déjà dans un marché commun. »
« Avec l’économie, on passe à une vitesse supérieure de concrétisation des objectifs de la francophonie sur le plan du développement, mais aussi en culture, en éducation, en cohésion sociale. Parce qu’avec l’économie, tout est dans tout », dit Michaëlle Jean.
Michaëlle Jean n’invente rien : la francophonie économique a toujours existé. Après tout, le français est la troisième langue des affaires. Invitée pour la première fois à l’université d’été du patronat français en août, Michaëlle Jean est allée leur brasser la cage : « Je leur ai dit : “Arrêtez de vous tirer dans le pied. Servons-nous de cette langue qui est un levier extraordinaire.”»
L’accent sur l’économie suscite un regain d’intérêt dans un certain nombre de pays qui s’étaient désengagés de la francophonie. « Les pays asiatiques disent : “On a quelque chose à offrir, c’est l’espace ANASE.” Pareil pour nos membres en Europe : 17 d’entre eux sont membres de l’Union européenne ! »
Elle cite le cas des plantes à valeur ajoutée (karité, cacao) en provenance du Burkina, du Bénin, du Mali, de Madagascar. La recherche de débouchés a révélé une forte demande en Europe centrale et orientale. « Les pays d’Europe orientale et centrale en sont ravis. Ils disent : “OK, avec cette langue-là, on va engager des échanges commerciaux.” » À tel point d’ailleurs que la Roumanie veut accueillir le prochain Forum économique francophone en 2017.
Après deux grands forums économiques francophones, la Francophonie a également entendu le message des entrepreneurs : « Arrêtez avec vos grands-messes et vos grands états des lieux, et donnez-nous du concret. » L’OIF a donc créé les Journées de la Francophonie économique sur une thématique précise : la question bancaire, accès au capital, mobilité de la main-d’oeuvre. « Il est venu tellement de monde à la première en septembre qu’on a dû ouvrir trois salles. »
Elle cite également le dossier pourri de la mobilité et du visa francophone, alors que les pays développés ont multiplié les obstacles administratifs notamment à la délivrance de visas. « On est dans une situation de paranoïa. Mais la France a commencé à s’avancer là-dessus parce que les entrepreneurs français le réclament. »
La logique de la coopération économique sort les pays d’Afrique de l’assistanat. Pour la création d’incubateurs d’entreprises francophones, le Canada a frappé fort en débloquant 10 millions de dollars. Mais le Sénégal a suivi avec 1,5 million d’euros et le Niger, bien qu’archipauvre, y verse l’équivalent de sa contribution statutaire.
En Afrique, d’autres initiatives francophones, en apparence sociale, sont en réalité à vocation foncièrement économique. Le Sénégal est partie prenante derrière l’Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF), installé à Dakar. Quant au Gabon, il veut accueillir un observatoire entièrement consacré à l’apport des femmes — ce qui pourrait se réaliser dès que les Gabonais auront réglé la crise politique provoquée par la dernière élection présidentielle.
« Beaucoup de pays sont des pays de jeunesse, où 50 %, voire 60 % de la population a moins de 25 ans. Les dirigeants savent que c’est une poudrière, ils me le disent dans ces termes-là. Ou bien on canalise cette énergie ou d’autres vont s’en occuper, et ça sera le début de l’enfer. »
C’est l’idée derrière l’IFEF, qui vise à moderniser la pédagogie et les programmes afin de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes. « Une quantité de pays ont été mis sur une fausse piste en créant de vastes programmes universitaires qui forment des cadres, qui se retrouvent chômeurs. Les jeunes disent non : on veut un enseignement et de la formation qui soient adaptés à nos besoins. »
Tout est dans tout.