Brandir l’image pour se faire justice?

Cela se déroule dans un commerce de détail situé à Sainte-Brigitte-de-Laval. La vidéo montre deux hommes adultes circulant dans un dépanneur. L’un d’eux prend des bouteilles et les dissimule dans ses vêtements. Une caméra de surveillance capte tous ses mouvements.

Les séquences vidéo sont partagées sur Facebook. Les internautes sont invités à donner les noms des personnes qui y apparaissent. Il appert que le procédé est efficace : le client est venu réparer son « oubli » de payer !

Pareillement, en France, il y a quelques mois, dans la ville de Nancy, une femme s’emparant d’un sac à main a été filmée par la caméra de surveillance de la salle d’attente d’un cabinet de dentiste. Le dentiste a mis la vidéo en ligne. La femme a admis le vol, mais a intenté une poursuite judiciaire contre le dentiste pour « violation de la présomption d’innocence » et atteinte à son droit à l’image.

Le principe est bien établi aussi bien en France qu’au Québec. Dans les deux territoires, la loi protège le droit de la personne à s’opposer à la diffusion de son image, même prise dans des lieux publics.

Mais est-ce que cela va jusqu’à protéger de la publication d’images révélant des gestes en apparence illicites ?

La présomption d’innocence est reconnue ici comme en France. C’est le premier principe invoqué par ceux qui estiment qu’une victime d’un crime ne peut « se faire justice » en diffusant les images de gens qui semblent en train de le commettre.

Leur devoir est plutôt de transmettre ces images et toutes les autres preuves à la police. Même s’ils peuvent croire que ces larcins ne trônent pas haut dans les priorités policières.

Il est a priori fautif de diffuser l’image d’une personne sans son accord. Le droit à l’image prévaut dès lors que les personnes représentées à titre de sujet principal y sont reconnaissables et qu’elles n’ont pas donné leur consentement.

L’article 36 (5e) du Code civil québécois prévoit que le fait d’utiliser le nom, l’image, la ressemblance ou la voix d’une personne à toutes autres fins que l’information légitime du public peut constituer une atteinte à sa vie privée.

Contrairement à ce qui est postulé ailleurs sur notre continent, au Québec la diffusion d’images d’une personne requiert son consentement même si elles ont été captées dans un lieu public.

Cette conception très étendue du droit des personnes à s’opposer à la diffusion de leur image reflète une prédilection pour la faculté des individus même à l’encontre du droit du public à l’information.

Le commerçant qui possède des images captées par des caméras de surveillance peut les diffuser uniquement si cela relève de l’intérêt public.

Ceux qui prennent le risque de diffuser l’image d’une personne sans son accord doivent se préparer à convaincre éventuellement un tribunal que l’image a été diffusée dans l’intérêt public. Le fardeau sera le leur, pas celui du voleur !

À ce jour, les tribunaux ont interprété de façon très stricte la notion « d’information légitime du public ». On a condamné un journal qui s’était permis de diffuser la photo d’une femme voilée circulant dans un lieu public. Même voilée, elle était reconnaissable et elle n’était pas une « personnalité publique ».

C’est sur celui qui s’exprime que repose le fardeau d’établir que la diffusion de l’image est faite dans l’intérêt public. Dans l’affaire de la femme voilée, le juge a estimé que la femme et ceux qui l’accompagnaient ne sont pas connus et ne jouent pas un rôle de premier plan dans une affaire relevant du domaine public ; leur réussite professionnelle ne dépend pas de l’opinion publique.

Il n’y a pas nécessairement de justification d’intérêt public à publier une photo relatant une situation dans un lieu public. C’est à celui qui publie de se justifier.

C’est dans cette logique que se pose la question de savoir si l’image d’une personne en train de commettre un délit dans un lieu public revêt en elle-même un intérêt public. À ce jour, cette question demeure irrésolue par les tribunaux.

On peut légitimement se demander si la mise en ligne de l’image d’une personne en train de commettre quelque chose d’illicite est d’intérêt public. Après tout, dans une vision large de l’intérêt public, la collectivité n’a-t-elle pas intérêt à être informée de comportements problématiques se déroulant dans des espaces publics ?

Certains diront même que le commerçant a un intérêt légitime à effectuer une telle diffusion. Encore plus légitime s’il prend la peine de prévenir la clientèle de la présence de caméras de surveillance et de sa politique consistant à partager les images suspectes.

Voilà comment la facilité accrue d’avoir des images renouvelle la question de savoir si une victime a le droit de « se faire justice »… lorsqu’elle estime que « justice ne se fait pas » !

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