Le fardeau du progrès technologique
Tout d’abord, pourquoi cette chronique ? Et toutes les autres que j’aurai le privilège de signer dans Le Devoir ? Parce que je crois en l’égalité sociale. C’est ce qui m’a motivé à quitter la pratique du droit afin de diriger à temps plein Pour 3 Points, un organisme qui transforme les coachs sportifs en coachs de vie auprès des jeunes en milieux défavorisés. L’égalité sociale par l’entreprise, donc, mais par la plume aussi. Parce que la plume forme des lettres. La lettre formule des idées. L’idée, parfois, crée des mouvements.
Quelques idées, donc, sur le chemin vers l’égalité sociale. Parfois, leur fausseté me mènera vers un cul-de-sac. J’apprendrai, alimenté de vos commentaires. Je risque aussi d’emprunter les sentiers de certains de mes dadas : l’éducation, le coaching, la philanthropie.
Je suis Noir. Et le porte-parole de… moi-même. Cela étant, je crois que la richesse de la diversité réside dans la faculté des uns d’ouvrir le regard des autres sur des phénomènes qui se situent dans leur angle mort. Cette faculté, je m’en prévaudrai par moments sans complexe en pesant sur l’accélérateur.
Alors, à qui le fardeau premier du progrès technologique ?
Voilà qu’Uber débarque en ville. Avec sa gestion brillante de l’offre et de la demande. Son interface qui permet aux consommateurs d’économiser leur temps, leur monnaie la plus précieuse. Son contrôle de qualité. Avec Uber, fini les odeurs. Tout le monde est content, sauf les chauffeurs de taxi propriétaires, dont la valeur des permis se voit diminuée.
Alors, à qui le fardeau premier du progrès technologique ?
Dans l’absolu, au gouvernement, je dirais. Pourquoi ? Parce que c’est à lui de favoriser une éducation qui priorise, au-delà des habiletés cognitives, le développement humain. C’est ce qui nous permettra de concevoir le progrès de façon holistique. Ainsi, les robots comme les Uber à Pittsburgh qui voleront toutes nos jobs automatisables auront une âme. Ainsi, nous saurons être des êtres heureux au chômage. Mais tout ça, c’est trop utopique pour être important tout de suite, là. Morpheus a dit de revenir dans la matrice, Neo.
Subsidiairement, à qui, donc, le fardeau premier du progrès technologique ?
Mon père, Papi, il a deux cousins chauffeurs de taxi propriétaires. Papi, lui, c’était le génie civil à l’ETS. Les projets de barrages en Abitibi et à la Baie-James avec Hydro. Et le taxi comme locataire, parfois, dans les années 90, quand il y avait des mises à pied.
C’est qu’avant de décrier la piètre qualité du service de taxi, il faut reconnaître que les artisans de cette industrie sont en grande partie des immigrants. Cité dans le magazine Challenges, Stanley Bastien, directeur de la Coopérative de l’Est, rapporte que 46 % des 4449 propriétaires de taxis à Montréal sont d’origine haïtienne. Des gens qui, au lieu de vivre aux crochets de la société, ont décidé d’acheter leur emploi, le permis de taxi, dans une société qui ne leur en offrait pas de facto. Toujours dans des conditions précaires qui rendent peu pratique, pour la survie, un service à la clientèle décent. Néanmoins, le chauffeur propriétaire n’aurait qu’à s’en prendre à sa propre turpitude si ce n’était de la réglementation étatique.
Car voilà l’enjeu : en réglementant l’industrie du taxi, nos gouvernements ont créé auprès des chauffeurs propriétaires une expectative selon laquelle ceux-ci auraient la protection inhérente au permis qu’ils se sont procuré en respect de la règle de droit. Ce sont ces gouvernements qui ont favorisé la mort lente de l’industrie du taxi telle que nous la connaissons en n’assurant pas une protection adéquate, si tant est qu’il y en ait une.
À qui, donc, le fardeau premier du progrès technologique ?
Dans ce cas-ci, à notre gouvernement. Or, rien ne justifie une tentative d’aménager Uber tout en tentant de sauver l’industrie moribonde du taxi. L’entente conclue récemment avec Uber contient des aménagements cosmétiques en faveur des chauffeurs propriétaires, certes, mais il ne prend jamais en considération la conséquence qu’est la perte de valeur du permis de taxi. Ce qui indemniserait les chauffeurs propriétaires de façon raisonnable serait sans contredit le rachat des permis par le gouvernement. Une option coûteuse, certes, mais qui est la seule qui tiendrait lieu de réparation minimale, à supposer qu’il ne faille pas en plus proposer un emploi aux propriétaires.
Et Uber, dans tout ça ? Pas le fardeau premier, mais un partage. Car si progrès il y a eu, ce fut en violation de la règle de droit. La responsabilité sociale de l’entreprise commanderait une participation d’Uber dans le rachat des permis. Et pourquoi pas un aménagement privilégié du partage des revenus avec les chauffeurs Uber préalablement taxis propriétaires ? Le violateur de la loi ne devrait-il pas, comme prix de son progrès, participer à la minimisation des conséquences néfastes de son fait ?