Attention, danger

Kim Jong-un, le jeune dictateur nord-coréen, est-il vraiment dangereux pour ses voisins et pour le reste du monde ? Les tests de missiles à répétition, les explosions souterraines de bombes atomiques, la cinquième vendredi, tout cela n’est-il que du théâtre pour attirer l’attention et exercer une forme de chantage, afin d’obtenir aide matérielle, reconnaissance ou avantage stratégique ?

Non, ce n’est pas que de l’esbroufe. Oui, ce régime est dangereux. Mais le danger est difficile à quantifier. L’énervement consécutif à chaque nouvelle provocation (depuis 2006 : une douzaine de lancements de missiles importants, plus cinq tests atomiques) a quelque chose de répétitif, qui peut faire baisser la garde par lassitude : « C’est toujours la même histoire ! »

Non, ce n’est pas toujours la même histoire. D’une fois à l’autre, d’un emballement médiatique jusqu’au suivant, la Corée du Nord progresse de façon continue sur le chemin qui mène à la pleine capacité nucléaire. Kim profite de la paralysie de la communauté internationale, de son impuissance à lui mettre des bâtons dans les roues. À moins que ce ne soit, dans le cas de Pékin (le « grand frère » chinois)… un refus calculé.

La détermination du régime à « protéger la glorieuse révolution » contre « les menées de l’impérialisme » (Washington et son allié sud-coréen, avec la présidente Park Geun-hye, régulièrement traitée de « prostituée des États-Unis »), et à le faire par tous les moyens, cette détermination est réelle à Pyongyang.

Sur le plan technique, le nouveau dans cette ultime provocation, c’est d’abord la puissance accrue de la bombe testée, par rapport aux quatre précédentes (on parle de 10 à 15 kilotonnes, de l’ordre de la bombe d’Hiroshima : modeste par rapport aux engins russes et américains d’aujourd’hui, néanmoins terrifiant). Mais aussi sa miniaturisation et la capacité alléguée de Pyongyang à combiner désormais des lanceurs efficaces (objets de nombreux essais, depuis deux ou trois ans — courte portée, longue portée, et tout récemment à partir d’un sous-marin) avec une ogive nucléaire adaptée à ces lanceurs.

Si cette « jonction » entre la bombe et les missiles porteurs se vérifie, et devait désormais faire partie des capacités technologiques reconnues de la Corée du Nord, voilà un développement qui mériterait toute notre attention, ainsi qu’une légitime inquiétude.

À Séoul et à Washington, les spécialistes de la Corée du Nord parlent maintenant d’une vingtaine de têtes nucléaires en état de marche. Quant aux lanceurs, on en a vu de toutes les sortes au cours des dernières années… On a volontiers ridiculisé les essais ratés — des fusées nord-coréennes qui font « pschitt », il y en a eu quelques-unes — et le style d’opérette de la fameuse présentatrice de nouvelles de Pyongyang. Mais d’une fois à l’autre, le « progrès » est bien là… il n’y a pas de quoi rire.

 

L’impuissance occidentale croissante est devenue un fait structurel du XXIe siècle (ainsi qu’un thème favori de ce chroniqueur). Que peuvent Obama, les Européens, les alliés pro-occidentaux en Asie devant de tels développements ?

Sud-Coréens et Japonais sont les premières cibles potentielles d’une Corée du Nord devenue sérieusement menaçante. Que font-ils ? Ils dénoncent « la folie autodestructrice de Kim », appellent mollement à la solidarité américaine… et pourraient être tentés de prendre leur destin (nucléaire) entre leurs mains, ainsi que l’a suggéré Donald Trump lors d’une de ses géniales incursions dans la géopolitique.

Barack Obama en Asie au cours des deux dernières semaines a accumulé les déconvenues protocolaires. Il s’est trouvé incapable, au sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est à Vientiane, de susciter une déclaration de soutien au jugement de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, laquelle avait refusé, en juillet, de reconnaître les supposés « droits historiques » de Pékin en mer de Chine méridionale. Même à l’ASEAN pourtant réputée pro-occidentale, l’ombre de la Chine intimide tout le monde !

Le seul qui aujourd’hui ne semble pas être intimidé, c’est cet encombrant « protégé » nommé Kim Jong-un, allié malcommode et désobéissant de Pékin. Il sait parfaitement que les Chinois — tout en exprimant leur exaspération dans cette affaire nucléaire — le protégeront toujours contre un effondrement qui aurait pour effet de faire disparaître un tampon essentiel entre la Corée du Sud pro-américaine et la frontière chinoise. Encore une fois, la clé se trouve à Pékin.

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