L’âgisme ordinaire

Tant que le moteur ronronne, il y a une vue d’ensemble et de la sagesse. Ce n’est pas parce qu’il y a de la neige sur le poêle que le feu est éteint à l’intérieur.
Photo: iStock Tant que le moteur ronronne, il y a une vue d’ensemble et de la sagesse. Ce n’est pas parce qu’il y a de la neige sur le poêle que le feu est éteint à l’intérieur.

Mon optométriste a l’oeil aiguisé : j’en ai gagné et j’en ai reperdu. Moins de myopie mais davantage de presbytie, l’une annulant l’autre. C’est l’âge : vous voyez moins de près (un gain indéniable) et votre vision d’ensemble s’améliore ; vous avez davantage de recul.

Vous me voyez venir. Je me suis frotté les deux yeux durant mes vacances en lisant que ce cher Winston McQuade (73 ans au compteur) était trop vieux pour annoncer des… lunettes, une prothèse oculaire très répandue chez les gens âgés. Si je comprends bien, M. McQuade est tout juste bon pour faire de la réclame de couches Attends.

J’étais justement en vacances au Vermont et je venais de croiser Donald (dit Attila the Hun, le roi des Huns), 86 ans, qui faisait ses foins sur son vieux (très vieux) tracteur Case des années 1950.

Photo: iStock Tant que le moteur ronronne, il y a une vue d’ensemble et de la sagesse. Ce n’est pas parce qu’il y a de la neige sur le poêle que le feu est éteint à l’intérieur.

En rajustant l’essieu dudit tacot, il a couvert le bruit du moteur d’une voix forte en me lançant : « I ain’t see much, but you’re a nice piece of a woman ! » (« Je ne vois plus grand-chose, mais vous êtes un beau brin de femme ! »). Donald aurait été aveugle que ça m’aurait tout autant flattée. Les hommes de mon âge ne nous disent pas que nous sommes belles, peu importe les raisons ; cataractes précoces, timidité larvée, peur de devoir payer l’addition, anxiété de performance, #agressionnondénoncée, que sais-je. Ils se tiennent cois comme dans un coït avorté. N’est pas Attila qui veut.

Quoi qu’il en soit, je pense comme Boucar Diouf que les femmes ont intérêt à marier des paléontologues (ou des gériatres) ; vous prenez de la valeur à leurs yeux en vieillissant.

La vieillesse est culturelle

 

Boucar racontait aussi la semaine dernière, dans une émission qui lui était consacrée à ICI Radio-Canada Première, qu’au Sénégal l’intergénérationnel demeure très vivant : « Les racines, c’est important chez nous. Il faut que la sève circule des racines aux bourgeons pour que l’arbre reste en vie. »

Fidèle à ses analogies arboricoles, Boucar saisit bien que l’âgisme ordinaire de son pays d’adoption est une spécificité culturelle, et pas des plus glorieuses. Et pourtant, l’Institut de la statistique du Québec annonce que nous passerons de 18 % de la population de 65 ans et plus en 2016 à 25 % dans 15 ans. Nous sommes en concurrence avec le Japon !

Une personne sur quatre sera victime d’âgisme ordinaire dans la file au guichet de métro (les soupirs ne manquent pas, même en dehors de l’heure de pointe) jusqu’aux portes du CHSLD, où elle risque d’être séparée de son conjoint pour cause de cécité sociale et d’« administrite » aiguë propre aux pays dits avancés. Sans compter tous ces chômeurs quinquas qui ne réussiront pas à se recaser pour cause de cheveux gris.

Des turbulences 
le secouent
En l’observant s’accrocher
On est porté à croire
Que son dernier vol
est un écrasement
On détourne le regard
Déjà on l’oublie
Oubliant aussi
Qu’on est sur le même vol

 

J’ai demandé à Winston comment il avait réagi devant les plaintes (une trentaine) qui ont été formulées à son endroit chez le lunetier Greiche Scaff. « J’étais en colère. Je ne vais pas rester sur mon cul pendant qu’on me garroche ça par la tête. Y a plein de gens qui reçoivent ce genre de remarque et se font traiter de “ face de macabre  ! »

Si le lunetier (et son publicitaire) a réagi en récupérant l’incident à son avantage et en créant une pub « Rabais selon l’âge », reste que Winston s’estime chanceux de ne pas avoir perdu le contrat qui lui permet de mieux vivre. « Moi, j’ai vu mon père mourir à 84 ans, amer, intolérant, fâché. Je ne veux pas aller là, je ne veux pas me laisser couler. » Et c’est malheureusement ce que nous nous apprêtons à faire de tous ces vieux qui n’auront plus de raison d’être.

Winston m’a aussi mentionné qu’il est devenu « invisible », même si on le voit à la télé. Welcome aboard, mon cher Winston, des femmes beaucoup plus jeunes que vous pourraient vous en parler longuement. « Dans le métro, me raconte le jeune ancêtre, il y a deux ou trois ans, je me suis fait gentiment rappeler à l’ordre par une femme dans la quarantaine avec qui j’échangeais des sourires mi-séducteurs. Elle m’a offert son siège. C’est une forme d’âgisme cute. » Moi, j’y vois plutôt un élan de politesse réaliste, mais bon, même Attila a le droit de rêver.

Après Janette Bertrand, qui nous a offert le livre La vieillesse par une vraie vieille, Winston s’apprête lui aussi à publier son opus gris. Ce type d’ouvrage va pulluler dans les années à venir.

L’âge est un rendez-vous

Les vieux ont déjà été jeunes, l’inverse n’est pas souvent vrai. C’est vers eux que la plupart des sociétés traditionnelles se tournent pour trouver des réponses en vertu d’une qualité rare qu’on appelle la sagesse.

Dans son blogue de l’Université Laval, le sociologue Simon Langlois nous parlait récemment de « société liquide », se référant à un autre sociologue polonais, Zygmunt Bauman, qui remarque à quel point nos sociétés avancées sont devenues liquides par rapport aux sociétés solides d’autrefois. Tout y passe, du relationnel au matériel.

« L’individu est devenu la principale référence, dans la société liquide, ce qui implique la valorisation de l’autonomie et de la liberté : liberté de moeurs, liberté de mettre fin aux relations sociales contraignantes, liberté d’affirmer des valeurs différentes et nouvelles, remise en question des relations jugées trop autoritaires », souligne Simon Langlois.

Il n’est pas surprenant que, dans une société où l’économie est prioritaire, les vieux non productifs soient négligés

 

Dans ces sociétés liquides, tout est bon à jeter, toutes choses sont égales en valeur ; les antiquités et IKEA, même combat, l’obsolescence programmée brille. Et les vieux sont bons eux aussi pour la casse.

Au lecteur qui s’imaginait m’insulter récemment en me disant que je « vieillissais mal », je souligne qu’une femme vieillit nécessairement « mal » — c’est un pléonasme douteux —, mais que jamais il ne me viendrait à l’esprit de perdre le précieux temps qui m’est imparti pour faire l’étalage de mon amertume en privé, devant des chroniqueuses qui prennent leur pied à défaut de l’avoir dans la tombe.

Mon optométriste dirait que c’est probablement la parabole de la paille et de la poutre. Greiche Scaff offre une promo d’enfer juste pour vous.


JoBlog

Le reste de leur vie

Près de ma table de chevet, le nouveau catalogue IKEA se lit comme un récit de vie domestique et me fait rêver de cocooning ordonné durant mes insomnies de préménopausée. Je lis aussi le dernier roman de Jean-Paul Didierlaurent (Liseur du 6h27), Le reste de leur vie, et je me délecte de cette histoire de jeune thanatologue au sens artistique poussé et de cette aide domestique qui s’occupe de vieillards isolés. C’est joyeux, lucide, intergénérationnel tout plein, comme quoi la mort ne rime pas toujours avec la morbidité. La devise de ce thanatologue ? « Aucun client ne s’est jamais plaint de moi de son vivant. » Certaines clientes prennent rendez-vous avec lui annuellement, comme avec le cardiologue, pour une visite de contrôle. Un joli roman sur un sujet tabou. Ça se termine en road trip en corbillard, paraît-il. Pour amateurs de Six Feet Under.

Sursauté devant la plus récente publicité d’Éduc’Alcool affichant une « cougar » entreprenante et un jeune homme qui aurait perdu la tête en lui refilant son numéro de téléphone. On imagine que la situation inverse serait impensable parce qu’elle est avalisée socialement. Quand l’âgisme se double de sexisme ordinaire.

 

Lu le billet Bonne pour la poubelle sur le blogue La semaine Rose de la journaliste Marilyse Hamelin. Sa mère de 60 ans est veuve et a cherché à tromper sa solitude par l’entremise des réseaux de rencontre en ligne. Rien. Nada. Un trou noir. Des presbytes à cataractes avancées espèrent des « jeunes » poulettes de 50 ans. La cataracte n’est pas qu’une affection de l’oeil, c’est aussi une chute d’eau importante. De quoi avoir envie de s’y jeter.

 

Visité la page FB Winstonmcquade-intergénérations. Plus de 60 000 personnes l’ont fait. Les commentaires sont parfois éloquents. Le lunetier a également enregistré une nouvelle publicité avec la petite-fille de Winston. Celui-ci s’apprête à rencontrer la ministre Francine Charbonneau, responsable des aînés et de la lutte contre l’intimidation. Ça ne se passe pas que dans les cours d’école...

  

Aimé Manger pour garder un cerveau jeune de la professeure en nutrition à l’Université McGill Louise Thibault. Elle y fait le tour des aliments qui peuvent nous éviter la démence précoce, l’alzheimer notamment, selon les plus récentes études sur le sujet. Outre les gras saturés et trans à fuir, les antioxydants, les fruits et légumes de couleur et le fait de moins manger (restriction calorique) augmenteraient de beaucoup la survie et les scores de mémoire. Quelques recettes plutôt végés agrémentent l’ouvrage.



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