Quand les petits s’envoient en l’air

Patrick Doucet suggère aux parents de répondre honnêtement aux questions de leurs enfants sur la sexualité, sans les devancer.
Photo: iStock Patrick Doucet suggère aux parents de répondre honnêtement aux questions de leurs enfants sur la sexualité, sans les devancer.

La sexualité humaine, on commence à le savoir, est multiple et parfois surprenante. Quand des adultes consentants sont en cause, on apprend à accepter même des extravagances. On souhaiterait toutefois préserver les enfants de ces jeux d’adultes. Et pourtant…

Professeur de psychologie au collège Marie-Victorin, Patrick Doucet, dans La vie sexuelle des enfants ?, vient bousculer notre croyance selon laquelle « les enfants normaux et bien élevés ne sont naturellement intéressés d’aucune façon par quelque activité sexuelle que ce soit jusqu’à ce qu’ils parviennent à la puberté ». La vérité serait tout autre : des enfants, même en très bas âge, se touchent, se masturbent, peuvent avoir des orgasmes, et ce n’est généralement pas un problème.

L’affirmation peut surprendre, mais elle est étayée, dans cet essai vivant et instructif, par une foule d’études, de témoignages et de références canoniques. On pourrait croire que cette sexualité infantile active est le résultat d’une dégradation des moeurs et de l’hypersexualisation de la société contemporaine qui s’ensuit. Ce serait faire fausse route, indique Doucet.

Il y a plus de cent ans, le psychiatre austro-hongrois Richard von Krafft-Ebing rapportait déjà, dans son oeuvre, des histoires d’enfants s’adonnant à l’auto-érotisme et à des jeux sexuels. Ses observations ont été corroborées, quelques années plus tard, par le médecin et psychologue britannique Henry Havelock Ellis et, dans les années 1950, par Alfred Kinsey, « père de la sexologie moderne ».

Jeu et agression

Photo: iStock Patrick Doucet suggère aux parents de répondre honnêtement aux questions de leurs enfants sur la sexualité, sans les devancer.
 

La recherche sur ce sujet demeure difficile à mener, note Doucet, parce que « la sexualité des enfants nous est “naturellement” désagréable, personne ne souhait[ant] être associé à ce qui, d’ordinaire, n’intéresse que les pédophiles ». Il en résulte que « le seul angle sous lequel nous acceptons plus aisément de l’aborder est celui des cas d’agression ».

Pourtant, continue Doucet, l’intérêt et le désir sexuels sont une réalité de l’enfance et se traduisent par des pratiques peut-être décoiffantes, mais, d’une certaine façon, « normales » et inoffensives, dans la mesure où elles n’impliquent ni pression ni contrainte. Nous avons beau croire que ce ne sont pas des jeux d’enfants, remarque Doucet, ça n’empêche pas des enfants d’y jouer et d’autres de s’en tenir éloignés. Il n’y a pas de norme absolue en cette matière.

« La tâche d’un professeur de psychologie de la sexualité, explique celui qui pratique ce métier, ne consiste pas à répéter ce qui est convenu dans notre culture, mais de tenter de résumer la vaste documentation sur le sujet et la diversité des expériences humaines ». Et ces expériences, que cela plaise ou non, incluent une large gamme d’activités sexuelles infantiles (masturbation, jeux homosexuels, jeux sexuels entre frères et soeurs, etc.), sans incidences négatives lorsqu’elles ne sont pas forcées et se déroulent entre enfants.

Doucet cite même des études sérieuses selon lesquelles même les enfants agressés s’en sortent souvent sans séquelles. Il reconnaît, évidemment, l’impact parfois catastrophique des « relations inappropriées » et rappelle la nécessité de dénoncer les rapports incestueux ou pédophiles. Il insiste toutefois sur l’importance de « mieux distinguer une agression d’une relation consensuelle entre enfants », notamment à la garderie et dans la cour d’école. Dans bien des cas, mentionne-t-il, « les réactions de l’entourage peuvent exacerber le problème ».

Pédagogie de la sexualité

 

Plaidoyer pour une éducation sexuelle décomplexée, qui enseignerait aux enfants qu’une sexualité vécue dans le respect de soi et des autres contribue à « une certaine joie de vivre » plutôt que d’être une source de malaise, La vie sexuelle des enfants ? suggère aux parents de répondre honnêtement aux questions de leurs enfants sur la sexualité, sans les devancer.

Il convient, selon Doucet, d’inviter les gamins à en parler si le sujet semble les intéresser et de reconnaître le plaisir lié à cette réalité, tout en respectant leur intimité, « ce qui peut donner à l’enfant une perception favorable de son propre corps ». Dans le numéro d’août-septembre 2016 de la revue Sciences humaines, dont le dossier s’intitule « Le sexe en 69 questions », le pédopsychiatre français Jean-Yves Hayez propose une approche semblable.

« Curieusement, écrit Doucet, les enfants et les adolescents assistent à la télé ou au cinéma à des millions de meurtres, tandis que nous veillons beaucoup plus scrupuleusement à ce qu’ils ne voient aucune représentation de ces activités sexuelles auxquelles ils se livreront tôt ou tard. N’est-il pas un peu étrange de montrer si généreusement ce que l’on ne devra pas faire et si peu ce que l’on fera ? » En effet.

Pour son audace, sa clarté et son sens pédagogique, l’essai de Doucet ne mériterait que des éloges, si ce n’était ce chapitre consacré à démolir les thèses de Freud sur le développement psychosexuel des enfants. Bien des psychologues n’aiment pas le père de la psychanalyse, qu’ils accusent de n’être pas scientifique. Ils devraient être prudents.

En 2015, le professeur Brian Nosek et son équipe de 270 psychologues-chercheurs ont publié dans Science la conclusion d’une enquête montrant que les résultats des deux tiers des études en psychologie n’étaient pas reproductibles. Freud, quant à lui, n’était peut-être pas aussi scientifique qu’il le prétendait, mais ses brillantes interprétations demeurent précieuses pour comprendre l’être humain.

« L’ignorance de la part des adultes en matière d’intérêt que peuvent montrer les enfants pour la sexualité est parfois plus néfaste que les actes auxquels les petits se sont livrés. »
 
« Que l’on en parle ou non, semble-t-il, on ne peut s’empêcher d’enseigner quelque chose. Alors, plutôt que d’enseigner une attitude ou un malaise que l’enfant devra corriger quelques années plus tard, est-il aussi inconvenant que nous sommes disposés à le croire d’enseigner tranquillement aux enfants une attitude plus positive qu’ils développeront progressivement? »
 
« Si tout le monde admet facilement que des adultes ont beaucoup d’intérêt et de désir sexuels, d’autres un peu moins et certains très peu, il est tout de même curieux que l’on entende rarement cette même idée à propos des adolescents et jamais à propos des enfants. »
Extraits de «La vie sexuelle des enfants?»

La vie sexuelle des enfants ? Tout ce qu’on aimerait sans doute savoir, mais qu’on ne souhaite peut-être pas entendre

Patrick Doucet, Liber, Montréal, 2016, 178 pages



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