Le Domaine d’Henri

Henri et Madeleine Laroche au domaine en septembre 1961.
Photo: Famille Laroche Henri et Madeleine Laroche au domaine en septembre 1961.

Henri est le père de Michel. Des Laroche au nom prédestiné qui savent faire sourdre le pur jus de roche des silex et kimméridgiens locaux. Ils sont comme ça dans la famille.

Si Henri et Madeleine ne sont plus, tout comme Louis Laroche déjà à l’oeuvre sur place à Chablis, fin XVIIIe siècle, ou encore Jean, le grand-père amateur d’escargots (arrosés de chablis) devant l’éternel, Michel et sa famille, eux, poursuivent aujourd’hui dans la foulée des anciens.

Au Domaine Michel Laroche ? Non, au Domaine d’Henri. Je vous dois une explication.

Vous ne connaissez sans doute pas encore le Domaine d’Henri, mais il faudrait être borgne de la papille gustative pour ignorer le Domaine Michel Laroche.

Présente au Québec depuis des décennies sous l’impulsion de Michel Laroche, qui avait fait la manchette à l’époque car il avait été le premier à coiffer ses chablis d’une capsule à vis (même ses grands crus !), la maison, forte de ses 91 hectares de vignobles (dont trois grands crus et sept 1ers crus), a toujours été reconnue pour livrer des chardonnays à la sève fine, nette et très pure, affichant à la fois une empreinte soulignée des terroirs tout en demeurant, en revanche, plutôt discrète sur le plan de la futaille utilisée. L’idéal chablisien, en somme.

De Laroche à Advini

Si, dès 2005, Michel Laroche laisse tomber le prénom pour devenir à part entière Domaine Laroche, il faudra attendre 2009 pour que l’homme scelle une entente avec la maison familiale languedocienne Jeanjean, une fusion qui regroupera leurs entités respectives sous une nouvelle bannière nommée Advini.

Deux entités naîtront de cette fusion : Domaine Laroche, qui conservera son nom de marque, et Mas de la Chevalière, dans le Languedoc, où des équipes différentes veilleront à l’autonomie des entités en question. Un principe qui tient à coeur à la famille Jeanjean, réputée être dynamique et innovante, non dépourvue de flair.

Dès lors, une solide équipe est mise en place sous la direction du très méthodique Thierry Bellicaud (directeur du groupe Laroche), avec, entre autres, Grégory Viennois sur le plan technique et Stéphane Barras en ce qui a trait à la partie cave. Michel Laroche peut dormir sur ses deux oreilles.

Non seulement son nom n’est pas prêt de pâlir dans la mémoire collective mais il gagne déjà depuis 2010, sous la nouvelle gouverne, plus encore en crédibilité vu la qualité des cuvées offertes. Nous y reviendrons.

Photo: Famille Laroche Henri et Madeleine Laroche au domaine en septembre 1961.

Mais pour Michel, l’aventure du Domaine d’Henri n’est pas piquée des coccinelles non plus. Dès 2012, des sélections massales (repérage et coupe de sarments parmi les meilleures vignes du domaine en vue de reproduction) sont entreprises, notamment parmi les vignes âgées du cru Fourchaume (1937) au domaine familial. Des 4000 souches visitées, 200 seront identifiées pour 1200 pieds greffés, véritable ADN du vignoble.

Ici, les traitements phytosanitaires ne sont utilisés qu’en dernier recours. Par exemple, si 2013 frisait la catastrophe, les 2012, 2014 et 2015, en revanche, n’ont eu aucun traitement. Côté cave, parcelles vinifiées séparément, levures indigènes, absence de bâtonnages (action de remettre les levures en suspension) et de chaptalisation, utilisation de 10 à 35 % de fût neuf sur pièces (228 litres), mais surtout en format demi-muids (600 litres) qui, selon le vigneron, « sont de véritables magnums de vieillissement ».

Les premiers chablis du Domaine d’Henri seront en tablette cet automne (à surveiller !), dans ce millésime 2014 prévu pour la longue garde en raison de sa sève nourrie et de son exceptionnel équilibre d’ensemble. Un millésime que l’on gardera de côté en dégustant par exemple les 2012, ou encore ces radieux 2015 gorgés de soleil mais plus timides sur le plan de l’acidité. Vins racés, précis, brillants ; impeccablement tracés.

Fourchaume 1er Cru 2014 (48,75 $ – 12840584) : issu de deux parcelles d’une moyenne de 35 ans, un Fourchaume bien droit où se mélangent des nuances florales et de craie sur une base fruitée substantielle. Persistant en bouche. (5 +)★★★1/2 ©

Fourchaume 1er Cru Vieilles Vignes 2014 (57,75 $ – 12473500) : à l’intérieur du lieu-dit « L’Homme mort », une parcelle de 45 ans qui offre certes plus de densité, mais aussi un fruité tout simplement magnifique. Une densité qui « digère » parfaitement ces nuances de noix de coco (20 % fût neuf) pour un ensemble immédiatement salin, soutenu, déjà harmonieux, élégant et long en bouche. Le rêve. (10 +)★★★★ ©

Fourchaume 1er Cru Héritage 2014 (71 $ – 12473526) : planté en 1937 à l’intérieur du lieu-dit « l’Ardiller », un chardonnay d’exception qui est avant tout un grand chablis. Sève minérale soutenue, matière fruitée bien serrée, éclatante par sa vivacité, avec cette impression de plonger en profondeur dans des marnes froides, denses et compactes.

Beaucoup de retenue, « implosif » même, signe avant-coureur d’une cuvée qui franchira allègrement deux décennies sans fléchir. (10 +)★★★★ ©

Du Domaine Laroche, n’hésitez pas à grappiller de ce friand Petit Chablis 2014 (22 $ – 11094815) aux nuances fraîches de pommes et d’agrumes. (5)★★★ Ou encore de cette cuvée Saint-Martin qui, dans le millésime 2015 (25,95 $ – 114223), vous procure une joie si intense qu’il faudra vous doter d’un parachute pour redescendre sur terre, tant la matière est belle et radieuse. (5)★★★.

Il reste peu des 1er Cru Montmains (38 $ – 12372611) et 1er Cru Fourchaume (38,75 $ – 12794477), tous deux issus de l’excellent millésime 2012 et vinifiés par la nouvelle équipe Advini. Des blancs secs qui affichent beaucoup de finesse, avec une droiture minérale linéaire, fraîche, persistante. La classe. Tous deux notés : (5 +)★★★1/2

 

Il a oeuvré à titre de consultant au Domaine Michel Laroche mais aussi dans plusieurs autres vignobles, en France comme à l’étranger.

Spécialiste des blancs dans lesquels il traquait les fameux précurseurs d’arômes, notamment dans le sauvignon blanc, le professeur et chercheur Denis Dubourdieu quittait en début de semaine sa petite famille au Château Reynon de Bordeaux pour rejoindre au paradis ses collègues Peynaud et Ribéreau-Gayon père.

Je conserve un souvenir vif et très amical de nos rencontres au domaine, mais surtout de son contact simple et très convivial. S’il avait l’oenologie moderne dans le sang, Denis Dubourdieu savait aussi la faire partager sans embrouiller ses interlocuteurs.

Un grand chercheur, oui, qui m’avait fait passer mon oral sur la fermentation des blancs en barrique à l’époque où je poursuivais des études sur place. Je le soupçonne d’ailleurs d’avoir bonifié ma note de passage, mais ça, il ne me l’a jamais dit.

Tiens, permets, cher Denis, que je lève mon verre de ce merveilleux sauvignon blanc 2015 d’Henry Marionnet à ton bon souvenir !

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