Une tragédie multiple
Le massacre d’Orlando, le pire attentat aux États-Unis depuis le 11 septembre 2001, est un drame à la signification et aux ramifications multiples.
C’est d’abord un moment, un choc dans la lignée du grand traumatisme du terrorisme en Occident, six mois après San Bernardino, sept mois après le Bataclan, dix-sept après Charlie Hebdo… même si la logistique concrète de l’attaque — nonobstant les revendications par l’organisation État islamique et par le tueur lui-même — ne remonte pas forcément jusqu’aux sables d’Arabie.
C’est aussi, sur un air de déjà vu, une tragédie bien américaine, qui pose une nouvelle fois la question des armes à feu, omniprésentes et à la disposition de tous : sujet évoqué en priorité par le président Obama dans son allocution d’hier. « Ne rien faire » devant la prolifération des armes aux États-Unis, « c’est déjà une décision en soi », a dit l’homme de la Maison-Blanche, profondément exaspéré devant cette caractéristique nationale qu’il a été incapable de modifier.
Orlando, c’est également un acte spécifique de haine envers les homosexuels, dans un pays où la percée et la généralisation des droits, depuis quinze ans, ont été absolument fulgurantes — légitimés même par une Cour suprême qui penche à droite !
C’est cette même cible — l’Occident et les hauts lieux de sa « dépravation » — qui était déjà visée en novembre à Paris. Aujourd’hui, un nouveau massacre, s’en prenant aux libertés qui s’épanouissent d’abord et avant tout en Occident, nous rappelle qu’entre ces libertés et l’idéologie du djihad mondial, il y a une contradiction frontale et violente… en tout cas, vécue comme telle par les auteurs des attaques et leurs inspirateurs.
C’est contre tout un mode de vie qu’en ont les terroristes ; pas seulement contre l’intervention des impérialistes en Irak, ou les méfaits des sionistes en Palestine.
« Clash des civilisations », disait l’autre…
Orlando représente aussi un événement important dans la politique intérieure des États-Unis. Comme les attentats en Europe — combinés là-bas à l’afflux massif des migrants en 2015 — ont pu faire le jeu des forces ultranationalistes et autoritaires dans plusieurs pays et gonfler leurs effectifs, on imagine ce qu’un Donald Trump, l’homme qui crache les outrances plus vite que son ombre, peut tirer comme avantage d’une attaque terroriste en sol américain.
« Quand deviendrons-nous durs, intelligents et vigilants ? », a-t-il demandé hier, dans un de ses fameux messages sur Twitter. Depuis des mois, le démagogue de New York accuse injustement l’administration Obama de faiblesse face à « l’islam radical ».
Hier, dans l’un de ces « flashes » opportunistes et vaniteux où il excelle, le candidat républicain triomphait : « J’apprécie les félicitations pour avoir eu raison à propos du terrorisme islamiste radical. Je ne veux pas de félicitations, je veux de la force et de la vigilance. Nous devons être intelligents ! »
Parmi les facteurs aléatoires d’une éventuelle victoire de Donald Trump à la présidentielle de novembre — chose qui paraissait, hier, improbable… et le reste sans doute encore —, les politologues américains notaient : un attentat terroriste juste avant le scrutin, pour accréditer ses rodomontades selon lesquelles « moi au pouvoir, vous ne verrez plus de ces choses-là ! ».
Peut-être, samedi soir, dimanche matin, dans les brumes d’Orlando, Donald Trump s’est-il rapproché des « conditions gagnantes »… aussi perverses soient-elles.
L’Occident, berceau de la nation démocratique et des libertés modernes, est attaqué pour ce qu’il est… à un moment où il n’a jamais autant douté de lui-même.
Ces libertés choquent ; elles créent l’envie ou le scandale. En janvier 2015 à Paris ; en juin 2016 à Orlando, on ne s’en est pas seulement pris aux blasphémateurs du crayon ou aux homosexuels. On s’est attaqué à l’idée même — inadmissible et subversive pour certains — de toutes ces libertés prises ensemble.
Au cours des prochains jours, on en saura davantage sur Omar Mateen, sur son parcours, ses contacts, sur la préparation de son forfait. Sur l’étendue de son lien — idéologique, programmatique, logistique ? vague ou précis ? — avec les djihadistes de Syrie, d’Irak ou d’ailleurs. Mais indépendamment de ces détails importants, le cadre général de ces agressions, ce qui les motive et ce qu’elles signifient, est d’emblée assez clair.
Ce qui l’est moins — tragiquement moins — c’est ce que devrait être une réponse adéquate à ce défi existentiel.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.