Politique-fiction
Sacrifier tout pour le pouvoir, sauf sa famille. Voilà donc le nouveau mot d’ordre de Pierre Karl Péladeau, qui a abandonné ses fonctions de député, de chef de parti et de leader de l’opposition pour conserver la garde partagée de ses jeunes enfants.
La politique est vraiment un monde cruel. On en demande trop aux élus. C’est vraiment trop injuste à la fin. D’accord, très bien, évidemment.
Il y a un tas d’autres cas de figure. L’avant-gardiste Pierre Elliott Trudeau a élevé ses jeunes enfants dans la tourmente d’une séparation en 1977. Il en a obtenu la garde légale après son divorce de Margaret Sinclair en 1984.
L’aîné, Justin, père de famille, l’a maintenant remplacé aux plus hautes fonctions politiques. Chacun à sa manière, le père et le fils Trudeau, n’a pas sacrifié sa famille pour le pouvoir.
Par contre, Birgitte Nyborg est allée jusque-là. Qui ça ? Mme Nyborg est la « femme de pouvoir » au centre de la série politique danoise Borgen.
Le slogan de la première des trois saisons enluminé sur le coffret DVD en anglais renverse ainsi son dilemme : « Sacrifice everything for your family… except power. » L’exergue du dernier épisode cite Abraham Lincoln disant que, pour tester réellement la nature d’une personne, il faut lui donner du pouvoir.
Le début de série montre une politicienne comblée à tous points de vue, y compris dans son mariage avec Philip, économiste réputé. Il va d’abord accepter puis refuser de mettre sa carrière en veilleuse pour sa femme hyperactive. Après leur séparation, à la deuxième saison, la première ministre doit choisir entre s’occuper de sa fille malade ou retourner au gouvernement. À la troisième, elle reprend du service public actif.
C’est de la fiction ? Et alors ? Les naïfs pensent que l’art imite la vie. Les tragiques savent que la vie imite l’art.
Quelque chose de notre temps
En tout cas, le traitement de la politique dans la fiction entremêlée à la présentation des rapports intimes des hommes et des femmes politiques finit par dire quelque chose de notre temps. Borgen, comme d’autres excellentes oeuvres venues d’ailleurs (ici, on ne se la joue que petit drame bourgeois…), nous tend un miroir complexe de l’intime et du social, du privé et du politique, de la morale et de l’éthique.
Veep déploie une tout autre perspective sur les dilemmes cornéliens. Cette comédie américaine inverse en fait tous les codes de Borgen, ou presque.
Le pouvoir suprême s’y retrouve aussi dans les mains d’une femme. D’autant plus que la veep (pour vice-présidente, ou v.-p.) devient potus (president of the United States) dans les dernières saisons. Pour le reste, tout n’est que cynisme et incompétence dans Veep, jusqu’au découragement, là où Borgen reste optimiste et engageante.
La présidente Selina Meyer est divorcée et on ne sait presque rien de son ex. Elle a une fille, Catherine, jouée par Sarah Sutherland, petite-fille du Canadien Donald Sutherland et arrière-petite-fille de Tommy Douglas, premier chef du NPD. La pauvre se fait constamment rabrouer. Catherine incarne un souffre-douleur et une extension narcissique et utilitaire de son ambitieuse maman.
Chose certaine, il ne viendrait jamais à l’idée de la politicienne de quitter ses très hautes fonctions pour cette enfant. Devoir d’État ou devoir de famille ? Dans ce cas, le choix ne déchire pas, et la réponse est immanquablement favorable au pouvoir plutôt qu’à la famille.
House of Cards décline l’alternative d’une autre manière. Veep baigne dans l’insolence et l’effronterie, tandis que cette autre série campée à la Maison-Blanche pousse le machiavélisme à l’extrême. Ici, le Prince sait que le choix est rarement entre le bien et le mal, mais presque toujours entre le pire et le « moins pire ».
Cette fois, les enfants ne posent pas de dilemme : ils n’existent pas. Le couple présidentiel Underwood n’en a pas, par choix. On comprend que la première dame Claire a avorté à trois reprises. Les relations entre elle et sa mère dépassent la névrose.
Dans une scène forte de la dernière saison, Mme Underwood discute avec Hannah Conway, aspirante à sa place, mère de deux enfants. « Regrettez-vous parfois de ne pas avoir d’enfant ? », demande la plus jeune femme de politicien à la plus vieille qui réplique aussitôt : « Regrettez-vous parfois d’en avoir ? »
À l’extrême
La série Game of Thrones pousse la règle des sacrifices par la ruse et la force à l’extrême. La fiction moyenâgeuse, une des fictions les plus regardées sur terre en ce moment, montre jusqu’où les puissants peuvent aller pour conserver le pouvoir, mais aussi pour le renverser.
Les clans sont tout et rien dans ce monde. « Nous disparaîtrons tous, mais le nom des Lannister perdurera », résume Tywin, patriarche dur et inflexible de cette maison suzeraine, lui-même assassiné par son fils.
Les Stark, seigneurs du Nord, sont tués en bande par les Frey pendant les « noces pourpres ». Au mieux, les enfants ont une valeur d’usage et d’échange. Le mot d’ordre devient : tout sacrifier pour le pouvoir, y compris et surtout les familles…