Après le Yukon

Normalement, j’aurais dû vous parler de Jean-Marc Fournier dans ma précédente chronique. Je l’avais même interviewé fin avril pour faire le bilan de ses deux ans au ministère des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne. Or, ce qui était ressorti de cet entretien m’avait paru tellement bizarre, sur le coup, que j’en ai remis la rédaction à plus tard. Vérification faite, je peux maintenant l’écrire : la francophonie canadienne aime le ministre Jean-Marc Fournier.

C’est extraordinaire parce qu’au Québec, on associe plutôt le nom du ministre Fournier au « Yukon ». Cela remonte à janvier 2015, quand le Québec avait créé tout un scandale en témoignant devant la Cour suprême pour une interprétation restrictive des critères d’admission à l’école française. Le ministre Fournier avait reçu une volée de bois vert des 42 organismes membres de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

Pourtant, 16 mois plus tard, non seulement les francophones le lui ont pardonné, mais il est perçu comme l’un des meilleurs ministres en titre depuis Benoît Pelletier, qui a laissé une marque indélébile dans la francophonie canadienne pendant les cinq ans qu’il a occupé le poste avant son départ en 2008. En fait, l’affaire des écoles françaises au Yukon est le seul passif à son dossier.

Certes, Jean-Marc Fournier tient le coup depuis deux ans, une constance inouïe à un ministère carrousel où six ministres se sont succédé entre 2009 et 2014. Mais il y a plus.

Le ministre Fournier prend très au sérieux le volet « Francophonie canadienne » de son ministère. Il en fait une promotion soutenue auprès de tous les gouvernements provinciaux. Si l’Alberta envisage de se doter d’une loi sur les Services en français, il y a un peu de Jean-Marc Fournier là-dessous. Ses prises de position, souvent très fortes, sur l’immigration, sur l’éducation, sur Radio-Canada ou sur les médias communautaires sont bien notées.

« Il suit notre évolution, et son message aux provinces est qu’elles ont intérêt à mieux nous comprendre », explique Sylviane Lanthier, la présidente de la FCFA. « Il tient un discours étoffé sur la promotion de la francophonie et la valeur ajoutée qu’elle représente, d’abord parce que c’est le fait français qui définit l’identité canadienne. Le Canada, sans le français, ce serait les États-Unis, il n’y aurait plus de différence. »

Vision actuelle

 

Sa vision de la francophonie canadienne est aussi très actuelle, puisqu’elle inclut les immigrants francophones et les Canadiens anglais passés par l’immersion et qui se réclament de la francophonie. Jean-Marc Fournier, qui affirme que le Canada compte 10,6 millions de francophones, se défend de rosir le portrait. « Des problèmes, il y en a, beaucoup même, je ne veux pas les occulter, mais le mouvement pour le français est réel et je veux voir jusqu’où ça ira et comment on va l’aider. »

« Il y a une légitimité nouvelle à l’égard du français », constate le ministre. « Qu’on y songe : au Yukon, par exemple, 52 % des élèves sont soit dans une école française, soit en classe d’immersion française dans une commission scolaire anglophone. Partout au Canada, la demande pour des cours en français n’a jamais été aussi forte. Les écoles sont pleines. »

L’éducation revient constamment dans sa conversation — en particulier le manque de ressources des écoles francophones et des programmes d’immersion des conseils scolaires anglophones. « Il faut que les gouvernements provinciaux répondent à la demande de français et ils doivent y mettre les moyens. Il est illogique de pousser l’immigration francophone et ensuite de procéder par tirage au sort pour savoir qui aura droit à l’éducation en français. »

Depuis un an, le Québec a signé trois ententes de coopération sur la francophonie avec l’Ontario, le Manitoba et le Yukon. Jean-Marc Fournier convient que de telles ententes comportent leur lot de voeux pieux, mais elles sont importantes pour deux raisons. « D’abord, parce qu’elles poussent les provinces impliquées à s’engager, sur le plan budgétaire, dit-il. Et aussi parce qu’elles forcent les gouvernements provinciaux à parler au milieu associatif. »

En 2016, il jouera fortement la carte de l’immigration francophone, ciblée depuis dix ans à 4 % du total des immigrants dans le ROC. « À l’automne, nous tiendrons le premier forum ministériel sur cet enjeu, qui réunira tous les ministres provinciaux responsables de la francophonie et de l’immigration. Le mot important ici est “premier”. On ne s’était jamais réunis, tous les ministres, pour établir un plan détaillé sur l’immigration. On avait une cible sans plan. Là, on va avoir un plan. »

À voir en vidéo