En attendant
Que disait au juste le poète, ce vieux sage qui a compris le sens caché de toute chose et en a révélé l’essentiel dans un recueil à la fois touffu et fluide qui, allez savoir pourquoi, s’est finalement assez peu vendu ? Que tout vient à point à qui sait attendre ? Que rien ne sert de courir si on effectue un faux départ ? Que patience et longueur de temps valent mieux qu’être en beau fusil, car la colère est une brève folie ? Qu’il y a urgence d’attendre ? Que l’ivresse induite par les succès instantanés se révèle éphémère et que le retour sur le plancher des vaches est brutal ?
Il a sans doute dit un peu tout cela, le poète, et notre formidable époque de gratification immédiate constitue la meilleure preuve que son lectorat reste relativement limité. Prenez par exemple le partisan de Canadien. Canadien a gagné sa dernière Stanley en 1993, il y a 23 ans à peine, et déjà son partisan s’énerve, il exige que des têtes roulent, il veut tout tout de suite. Mais ça ne se passe pas précisément comme ça. Il faut être patient, sinon on développe des problèmes de santé qui peuvent nous rendre malades, sans parler de la misère mentale qui vient avec.
À St. Louis, ils savent ce qu’est la patience. Les Blues sont nés en 1967 et ils n’ont jamais remporté le championnat, même pas proche. Ils ont atteint la grande finale en 1968, 1969 et 1970 parce qu’il devait y avoir un club d’expansion en grande finale, et chaque fois, ils se sont fait varloper en 4. Depuis, plus rien. Et les Maple Leafs de Toronto, dites-vous ? La dernière fois qu’ils ont mis la main sur la Coupe, les Blues étaient dans le ventre de leur mère, ou quelque chose du genre. Certes, on l’a vu samedi dans un spectacle qui ressemblait pas mal à un épisode du Banquier (sauf les valises et avec Bill Daly dans le rôle de manipulateur de cartons), les Leafs ont obtenu le choix initial au prochain repêchage et devraient donc faire l’acquisition d’Auston Matthews, un authentique prodige à ce qu’on raconte, mais Mike Babcock l’a dit à son arrivée à Toronto : messieurs dames, le retour au sommet sera long et douloureux. Ce n’est pas pour rien que l’expression « s’armer de patience » existe : le temps est un adversaire redoutable contre lequel il faut être équipé pour se battre même s’il finit toujours par gagner.
Cleveland ? On touche quelque chose ici, et il s’agit vraisemblablement d’un paquet de nerfs qui en a eu marre de sa propre existence et est finalement mort d’inanition. Au basketball, les Cavaliers ont été fondés en 1970 et ils n’ont jamais remporté un championnat de la NBA. Au football, le dernier titre des Browns remonte à 1964, avant la création du Super Bowl, bientôt quinquagénaire et auquel ils n’ont jamais participé. Au baseball, les Indians ont remporté leur dernière Série mondiale en 1948. Il n’y a qu’au hockey que la perle de l’Ohio ou The Mistake on the Lake, choisissez votre approche, n’a pas fait preuve de patience : après deux saisons avec un rendement 47-87-26, les Barons ont été fondus dedans les North Stars du Minnesota. Selon des sources, c’est pour se changer les idées que la ville s’est dotée d’un Temple de la renommée du rock roll, car avec de la bonne vieille musique, n’est-ce pas, on n’est jamais perdant.
Et il y a bien sûr les Cubs de Chicago, le mannequin dans la vitrine au magasin des échecs, ceux dont on retrouve la photo dans le dictionnaire à l’entrée « Poche », les éternels pensionnaires de la salle d’attente. Bien sûr, on a fini par tourner la galère en boutade là-bas en faisant valoir que n’importe quelle équipe peut connaître un mauvais siècle — la dernière conquête date de 1908 —, mais le seul fait que le Wrigley Field soit toujours bondé conduit tout droit à penser qu’on devrait créer un prix Nobel de la paix de l’esprit.
Ce qui nous amène naturellement au match nul de 2-2 lundi entre Tottenham et Chelsea, parce que le fait que les Hotspurs n’aient pu l’emporter signifie que le petit club de Leicester City est désormais mathématiquement assuré du championnat de la Premier League de soccer d’Angleterre. Parfaitement mon vieux, devant des pointures comme Tottenham, Arsenal, Manchester City, Manchester United et Chelsea.
En 2015, Leicester City avait frôlé la relégation et avant la présente saison, les preneurs aux livres britanniques offraient une cote de 5000 contre 1 aux hurluberlus prêts à parier qu’ils termineraient en tête. En cours de campagne, plusieurs hurluberlus ont d’ailleurs accepté une cote moindre et un paiement immédiat, convaincus qu’ils étaient que le train aurait tôt fait de dérailler.
Leicester City n’avait auparavant jamais remporté le championnat d’Angleterre. Le club a été fondé en 1884, ce qui nous fait 132 ans d’attente, quoiqu’ils ne devaient pas attendre grand-chose là-bas.
La vie a peut-être un sens, finalement. Peut-être.