En réponse à Trump et compagnie
Les populistes peuvent avoir de l’influence sur la réalité même s’ils ont généralement tout faux. Raison de plus pour que les autres chefs politiques se montrent plus courageux quant aux problèmes économiques qui accablent leurs concitoyens.
L’un des sujets de l’heure dans le monde économique est la grande angoisse qui habite les marchés financiers depuis plusieurs mois. De très éminents experts ont beau se faire aussi rassurants que possible sur la solidité (toujours relative) des facteurs fondamentaux comme la reprise américaine, la transition économique en cours en Chine et le renforcement des banques européennes, rien n’y fait. Les rumeurs de choc et de réaction en chaîne qui mènerait à une nouvelle récession courent toujours.
Un nouveau sujet d’inquiétude s’est même ajouté et est en train de grossir, à la faveur entre autres des surprenants succès de Donald Trump dans la course à l’investiture présidentielle du Parti républicain aux États-Unis. Il s’agit de la montée des populismes de droite comme de gauche et du risque, entre autres, que des économies importantes s’engagent dans des impasses politiques ou que les pays se tournent de plus en plus les uns contre les autres alors que tellement de problèmes requéraient au contraire une plus grande coopération.
Ce n’est pas nouveau que des politiciens essaient de se rendre populaires en avançant des solutions simplistes à des problèmes complexes. Il est facile de succomber à la tentation de chercher des boucs émissaires pour tout ce qui nous arrive, que ces coupables tout désignés soient les étrangers, les riches, les assistés sociaux, les fonctionnaires, les banquiers, les musulmans, les politiciens, les journalistes, la mondialisation, la clique du Plateau ou El Niño. En fait, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est qu’il a fallu autant de temps pour que ce phénomène prenne de l’ampleur après la terrible Grande Récession et les années de croissance famélique qui ont suivi, notait cette semaine le professeur d’économie politique à l’Université Harvard Dani Rodrik dans le site Internet d’analyse Project Syndicate.
Tout faux
On ne s’étendra pas sur le fait que souvent ces discours populistes n’apportent ni les bonnes réponses ni même ne posent les bonnes questions. À voir aller leurs chefs de file, on se demande parfois s’ils y croient eux-mêmes à tout ce qu’ils racontent ou s’ils ne voient pas cela seulement comme un jeu tordu pour accéder au pouvoir. Le plus fou est que pour ne pas se laisser déborder sur leur gauche ou sur leur droite, les autres politiciens se sentent parfois obligés d’entrouvrir la porte à cette rhétorique. Bien forcés d’envisager la possibilité que Donald Trump emménage un jour à la Maison-Blanche, des commentateurs ont commencé à dire que son parcours personnel laisse à penser qu’il pourrait s’y montrer plus pragmatique qu’il n’y paraît (!!).
Le temps d’agir
Mais toute cette affaire n’est pas un jeu. Bien que « du point de vue macroéconomique, les bases ne sont pas si mauvaises », le nombre de problèmes économiques avec lesquels le monde est aux prises et la plus grande interdépendance pourraient malgré tout faire basculer les choses, expliquait jeudi un autre professeur de l’Université Harvard dans le site Project Syndicate, Kenneth Rogoff. Ironiquement, l’une des plus grandes craintes est que la peur d’un effondrement économique de la part des marchés financiers finisse par contaminer l’économie réelle et devienne autoréalisatrice.
Il y aurait pourtant des façons pour les gouvernements de raffermir la croissance économique, mais surtout de l’engager sur une voie plus durable, se tuent à répéter des experts, dont ceux des grandes institutions économiques internationales comme l’OCDE et le FMI. Elles consisteraient premièrement, pour ceux qui disposent ne serait-ce que d’un peu de marge de manoeuvre financière, de cesser de faire une fixation sur l’équilibre budgétaire et de profiter de la faiblesse des taux d’intérêt pour investir notamment dans les infrastructures. Il est aussi question de réformes dites structurelles visant à la fois à améliorer la productivité et à mieux partager la richesse.
Mais voilà, disent ces voix, ces mesures obligeraient les gouvernements de convaincre les électeurs de la nécessité de toutes une série de réformes pas toujours faciles, comme reporter leur déficit zéro, de s’ouvrir encore plus à la concurrence étrangère, d’aider les pauvres, les femmes et les immigrants à se trouver une place sur le marché du travail, ou encore d’augmenter les taxes à consommation pour réduire les impôts sur le revenu, d’accélérer le virage vert.
« Si les dirigeants [politiques] ne parviennent pas à réaliser les réformes structurelles après une crise, il est difficile d’imaginer qu’ils le feront un jour. Ce n’est pas en gouvernant un oeil toujours fixé sur les sondages comme s’il s’agissait d’une émission de téléréalité qu’ils y parviendront », assène Kenneth Rogoff.
Si les gouvernements échouent et que le monde replonge en récession, ils n’auront qu’eux à blâmer pour cette « blessure autoinfligée », a prévenu cette semaine l’ancien économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, avec d’autres experts dans une analyse remarquée. Les premières victimes en seront ceux qui se remettent à peine de la dernière crise, mais aussi la confiance des populations dans la compétence de leurs dirigeants politiques et nourrira ainsi le populisme de plus en plus rugissant.