Échec des thèses libérales
On le savait pour l’austérité, on le sait maintenant pour les réformes économiques structurelles. Les thèses libérales (au sens large) ne produisent pas le progrès social escompté.
Le Fonds monétaire international (FMI) l’avait déjà intégré dans ses équations. Aujourd’hui la Fondation Bertelsmann, également reconnue pour défendre généralement des thèses empruntant au libéralisme, le documente. La douloureuse transition des pays dits en développement et en transformation vers la démocratie et l’économie de marché ne génère pas le progrès social escompté. Corruption, chômage structurel, exclusion et creusement des inégalités sont annonciateurs d’importants défis à relever.
La Fondation allemande a publié le 29 février la version 2016 de son Indice de transformation (BTI, en anglais). Le titre de son communiqué accompagnant le dévoilement de l’indice l’évoque : « Des temps difficiles pour le changement démocratique ».
Une autre institution appartenant à la révolution conservatrice d’après-guerre nous avait habitués à ce réalignement du discours. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a multiplié les sorties plutôt critiques à l’endroit des politiques empruntant au néolibéralisme qui, en 20 ans, ont engendré une aggravation des inégalités. Elle a été jusqu’à pointer en direction du côté du Canada, de la Grande-Bretagne et des États-Unis pour déplorer le fait que l’austérité et ses réformes imposant une cure minceur aux programmes sociaux pouvaient expliquer pourquoi la richesse collective n’a jamais été aussi concentrée entre si peu de mains. Bref, si la crise a creusé les inégalités, l’austérité les a cristallisées, pouvait-on conclure.
Pourtant défenderesse des thèses libérales, la Fondation retient, pour sa part, que le mantra actuel des grandes puissances accordant une préséance à l’application de réformes structurelles, plus qu’aux plans de relance budgétaire, sonne faux. Ce progrès social que le discours dominant associe généralement à la déréglementation, à la libéralisation et aux privatisations a produit des résultats « moindres que prévu », peut-on lire.
La Fondation Bertelsmann constate, à son tour, qu’en une décennie la grande majorité des 129 pays recensés ont peu ou pas progressé sur le plan social malgré leur transformation économique. L’édition 2016 comporte à peine 6 gagnants au chapitre de la gouvernance, plus que contrebalancés par 11 perdants. Dans ce dernier camp on retrouve les pays du BRICS, le Brésil affichant la chute la plus spectaculaire.
Puis la crise est venue
BTI 2016 retient que nombre de gouvernements n’ont pas su profiter de conditions économiques et budgétaires favorables au cours des années ayant précédé la crise pour investir davantage de ressources en éducation, en santé et en redistributions sociales. Puis la crise est venue, réduisant d’autant les options et la marge de manoeuvre de ces gouvernements soumis à une montée des nationalismes, à l’éclosion de l’autoritarisme et à l’apologie de la méritocratie. Sans oublier l’influence politique grandissante des religions. Les clivages religieux ont contribué à une intensification des conflits sociaux et ethniques en dix ans, difficilement contenus par les gouvernements en place. Et ces tensions ne sont pas uniquement concentrées là où l’extrémisme impose sa présence, souligne l’influent groupe de réflexion allemand.
Sans oublier également le retour aux vieux réflexes de la persécution, de la répression et de la corruption. Sur ce dernier aspect, l’ONG Transparency International indiquait en janvier que dans son indice 2015, plus des deux tiers des 168 pays évalués obtenaient une note inférieure à 50 en la matière.
Bertelsmann rappelle que les crises existentielles et autres conflits intérieurs spontanés sont symptomatiques de malaises sociaux profonds. Pauvreté, inégalités et rareté des occasions économiques constituent une bombe à retardement. D’autant que cette « quatrième révolution industrielle » invoquée, celle du numérique, renferme déjà, dans ses gênes, les ratés de la dernière vague. « Les effets de la technologie sur la productivité mondiale, l’amélioration des opportunités pour les pauvres et la classe moyenne n’ont pas été à la hauteur des attentes », a déjà conclu la Banque mondiale.
Les pays mis en évidence dans ces indices abritent les trois quarts de la population mondiale, a mis en exergue le quotidien Le Monde.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.