Le traitement problématique des agressions sexuelles
À en juger par les réactions de maints juristes et commentateurs, le procès de Jian Ghomeshi n’aurait fait que des perdants, quel que soit le verdict qui sera prochainement rendu. L’ex-animateur, même s’il était alors acquitté, est déjà condamné par le public. Or, loin d’encourager les victimes de violence sexuelle à faire confiance à la justice, les femmes qui l’ont accusé en auront dissuadé plus d’une d’oser porter plainte. Et la justice elle-même en sort pour l’heure ébranlée. Comment un tel gâchis a-t-il pu se produire ?
D’aucuns s’étonnent que, dans cette affaire, ni la police ni le ministère public n’aient poussé plus loin leur enquête. Pourtant, la justice ne manque pas d’experts pour accueillir de telles plaignantes, rassurer les unes quant au procès à venir ou détecter chez d’autres un grief mal fondé. Des victimes peuvent, certes, avoir des problèmes de mémoire ou de comportement. Mais, si l’accusé avait déjà reconnu ses « pratiques », la surprise fut totale quant à la conduite passée de ses partenaires d’occasion…
Dans les cas spectaculaires, qu’un crime soit réel ou appréhendé, il se trouve parfois un ministre pour faire des déclarations fracassantes avant même que la police n’ouvre le dossier. La situation est « grave », devrait-on croire, et les autorités agiront « sans délai » ! Cette fois-ci, le chef de police, incitant les victimes à venir porter plainte, faisait un coupable du suspect identifié, confirmant d’avance la véracité des plaintes.
Pourtant, si les journalistes du Toronto Star avaient su, dans leur propre enquête, que des « victimes » de Ghomeshi s’étaient accrochées à lui après avoir été brutalisées, alors qu’elles n’étaient aucunement liées à l’animateur, le journal aurait-il lancé l’affaire ? Il est apparu, après coup, qu’un abcès à la CBC faisait l’objet de rumeurs. Qui en serait surpris ? Dans la plupart des milieux, le harcèlement sexuel est une plaie. Mais qu’en était-il dans ce cas ?
Toutes les victimes présumées de Ghomeshi ne travaillaient pas à sa fameuse émission ou même à CBC. Il s’en trouvait pour espérer un emploi dans son équipe ou une invitation à sa célèbre émission. Tout enquêteur d’expérience sait qu’un patron — surtout un homme, mais parfois une femme — peut profiter de son pouvoir pour obtenir d’un subalterne ou d’un demandeur d’emploi des avantages illicites.
Ce n’est pas non plus d’aujourd’hui que certaines femmes en quête de travail ou de promotion usent de leurs « charmes » pour satisfaire leur ambition. Que l’une d’elles, ayant échoué dans sa démarche, veuille parfois se venger d’un abus ou d’un refus, cela n’aurait rien d’invraisemblable, encore qu’une plainte, fondée ou non, ne va pas sans risque. En tout état de cause, quiconque veut tirer ces choses au clair ne saurait se passer d’une enquête sérieuse.
L’époque hélas ne s’y prête guère, malgré la libéralisation des moeurs et les prétentions concomitantes à l’intégrité. La société du spectacle et le culte des vedettes permettent difficilement d’empêcher l’agression sexuelle et plus encore de sévir contre les agresseurs. Un grand patron olympique en prendra large avec le personnel, mais l’institution sportive qui compte sur ses appuis financiers fermera les yeux sur ses actes. Plusieurs athlètes aussi gagnent frauduleusement leur triomphe sans trop craindre de sanction…
Quelle institution échappe à cette tentation ? La CBC croyait avoir trouvé une vedette apte à renflouer son auditoire et ses finances en recrutant Jian Ghomeshi. Grisé par son succès, l’animateur aura exploité l’aliénation d’un certain public féminin, et se sera en même temps cru intouchable dans la maison où il était devenu un sauveur. D’autres institutions vulnérables aux humeurs du public cèdent parfois à la stratégie de recourir à des solutions dangereuses au risque d’en devenir captives.
Ainsi, sous la pression d’un public indigné ou inquiet, tel service de police se hâtera de boucler sinon de bâcler une enquête, au risque de faire condamner un innocent, comme la chose est arrivée plus d’une fois au pays. Afin de redresser son auditoire et ses revenus, tel média se lancera dans des révélations spectaculaires, quitte à écourter ses recherches et, du même coup, à fourvoyer le public et les autorités. Bref, sauver la face ou les finances est souvent peu compatible avec la rigueur professionnelle. En matière d’agression sexuelle, il faudra davantage que la police ou les tribunaux pour enrayer les abus et réparer le tort fait aux victimes.