Chacun trouve son chat

Indifférents au spectacle de la rue, les vedettes du Café des chats sont juchées au sommet du monde et affectionnent leurs semblables, épris de liberté.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Indifférents au spectacle de la rue, les vedettes du Café des chats sont juchées au sommet du monde et affectionnent leurs semblables, épris de liberté.

« Oui, je vois l’heure ; il est l’Éternité. » Baudelaire, grand ami des félins, rapportait que les Chinois lisent l’heure dans l’oeil des chats. Le poète, membre des Hashischins, les qualifiait de délicieux cadrans et de démons du contretemps. Si cela s’avère, ici, au Café des chats, on peut ne jamais se hâter, huit horloges gambadent, s’étirent à pas feutrés ou se laissent flatter, roulées en boule ou haut perchées. « Le temps passé avec un chat n’est jamais perdu », disait Colette, qui voyait en chacun le spécimen unique d’une race d’élus.

Les maîtres du temps s’appellent Snow, Peace ou Sidibou et ils nous observent derrière la vitrine du salon de thé qui leur tient lieu de chez-soi. Le spectacle de la rue, insignifiant, les ennuie au point où ils gravissent et sautent d’une tablette vers l’autre pour se jucher au sommet du monde, inaccessibles et hautains, de naissance supérieure, va sans dire.

Le Café des chats fut le premier à ouvrir ses portes en Amérique du Nord, à Montréal, il y a un an et demi. Voilà que deux autres ont suivi en catimini. Le concept répond à un besoin, un manque (?), fait contrepoids. Les chats incarnent l’antiproductivité même, la procrastination suprême, ils sont protecteurs d’une idée, celle de liberté désinvolte ; libre penseur, libre bretteur, libre arbitre. Mais soumettre des chats au libre-service ?

Le concept nous vient d’Asie, a fait des chatons à Taïwan et au Japon, où les amateurs de félins se trouvaient empêchés d’en adopter à cause des règlements domiciliaires. À Montréal, on vient flatter ces individualistes pour toutes sortes de raisons, en raison d’un coloc allergique, d’un conjoint qui les craint, pour le simple plaisir de se sentir chez eux et parce qu’un chat qui se prélasse dans un lieu en fait instantanément un endroit béni et ronron.

Le genius loci, le grillon du foyer, c’est lui, cette boule de poils qui réchauffe et apaise nos âmes agitées. La zoothérapie faisant le reste, on y trouve même son compte en matière de tension artérielle, en sirotant un thé rooibos à la vanille.

Chacun cherche son chat

 

Ils somnolent d’un oeil et vous guettent de l’autre. On retire ses bottes à l’entrée, on leur laisse la berçante « chats seulement », on les observe faire leur toilette au gant de velours, bâiller, se frôler. Leur présence quasi muette mais attentive rapproche les clients un peu gagas ou simplement contents. On s’échange des sourires, on fait connaissance, on se lie le temps d’une caresse amicale. « Nos clients sont attachés à nos chats », me glisse Youssef, l’idéateur de ce cat café.

Ces chats issus des refuges d’animaux sont plutôt grégaires, liant la conversation de mille façons sans quêter une mignardise, infidèles et insoumis. Allergiques à la souveraineté et à l’indépendance, vous repasserez. Le chat perçoit les inimitiés naturelles et les ondes troubles de toute façon.

Tous les cafés félins ne sont pas aussi avenants. J’en ai visité un, rue Saint-Denis, un peu plus haut vers le nord, ouvert depuis quelques mois.

Jeudi matin, il n’y avait pas un chat au café Venosa, sauf les huit qu’on y héberge et qu’on peut adopter aussi. J’en ai eu un dans les bras qui était moins bête que la serveuse, et encore, ce serait faire insulte aux animaux.

Je pose deux questions sur le wi-fi, la jeune Anglo-Asiatique me rembarre aussi sec en montrant du doigt le code ilovecats et me signifiant mon congé. Une cliente américaine avec son bébé dans le sac ventral me sourit : « She’s rude ! » Vous l’avez dit, ma bonne dame, rude comme une langue de chat râpeuse. Je suis « Chat » chez les Chinois, pas « Dragon », vous m’excuserez du dérangement.

Me voilà chassée comme une chatte sans médaille, toutes griffes dehors, pshhhhhhhhh, crocs visibles et dos arqué. Je préfère les lieux avenants et respectueux de l’hypersensibilité féline et du sixième sens féminin.

Mascotte d’écrivain

« Le chat est un animal domestique dont l’insolente capacité de sommeil, le goût prononcé pour des surfaces incurvées et molles, et le souci constant du mieux-être conduisent à préférer une altitude moyenne de soixante centimètres, soit la hauteur d’une chaise, prolongée de l’épaisseur d’une cuisse. Le chat s’acclimate sur les genoux de l’homme », remarque l’écrivain Jean-Louis Hue dans Le chat dans tous ses états. Le chat accompagne le plumitif comme le futur « immortel ». C’est la mascotte de l’écrivain et du psychanalyste.

Exquis compagnon qui recherche la lumière oblique de février et la chaleur du rayon qui darde davantage que le ciel plombé et le coup de vent, le chat est une alcôve tiède. « Jamais « ce doucet » n’a l’air meilleure personne que lorsqu’il a gagné de l’âge et de l’embonpoint. Il se tient alors pendant tout le jour au soleil ou près du feu, enveloppé dans « sa majesté fourrée », sans s’émouvoir de rien, grave… », écrit Hippolyte Taine au XIXe siècle.

Voilà bien un endroit — au Café des chats — où lire des ouvrages comme Toi, mon tendre chat…, un recueil de textes d’écrivains amoureux du matou, ou relire du Colette en écoutant un tango d’Hugo Diaz, cet harmoniciste de génie. Le cha-cha-cha ne leur convient pas du tout.

On dit que ce sont les chats qui adoptent les humains, et non l’inverse. On est invités chez eux. Dans ce croisement charmant entre vie domestique et élégance cultivée, pose étudiée et désintéressement feint, il y a un langage à décoder. Et on peut donner sa langue au chat ou la garder pour soi, mais quand un félin vous fait l’honneur de sauter sur vos genoux, vous ne protestez pas, vous vous laissez choisir et vous ronronnez les yeux mi-clos.

L’amour dans le sens du poil, ça ne se refuse pas, ça se prend, comme le temps.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

Colette disait vous à ses bêtes, leur parlait français et non pas susucre

Le Chat aime le repos, la volupté, la tranquille joie ; il a ainsi démontré l’absurdité et le néant de l’agitation stérile

Dieu a fait le chat pour donner à l’homme le plaisir de caresser le tigre

Tu me fais tourner la tête

Il y a de ces livres objets qui procurent à leur détenteur une certaine ivresse. Celui d’Alain Rey (mieux connu pour les dictionnaires Le Robert), lexicologue et linguiste, philosophe du langage, en fait partie. Pourvu qu’on ait l’ivresse (Robert Laffont), un ouvrage colossal et savant à travers les arts et les lettres, porte sur l’alcool et ses effets délétères ou euphoriques. Il retrace toute l’histoire de l’ivresse depuis Dyonysos, en passant par Platon, Rabelais, Montaigne, Baudelaire, Proust, Nietzsche. Il est intéressant de constater qu’on ne s’enivre pas de la même façon à la vodka qu’au cognac, ni à la bière ou au champagne (dans « effervescence », il y a de la ferveur). L’ébriété ou l’ivresse est également affaire de culture et de société. Cet ouvrage se déguste par petites lampées et les calligraphies de Lassaâd Metoui sont absolument exquises, haussant ce livre au rang de référence et d’anomalie littéraire. Cadeau de Saint-Valentin sans alcool à 50 $.

Noté les trois adresses des cat cafés, tous végés, d’ailleurs. Les seuls qui sont restés entièrement carnivores, ce sont les chats… Au Café des chats, j’ai vu une file d’attente un samedi après-midi de janvier. Très couru par les étudiants étrangers, touristes et anglophones. On y vend même de la nourriture pour chats ! Passons pour le Café Venosa (sauf pour y adopter un minou), sans compter que le wi-fi semble capricieux. Je n’ai pas visité le café Chat L’heureux, mais une amie des chats m’en dit le plus grand bien. Tous ces cafés sont situés sur le Plateau-Mont-Royal. Et le concept plaît aux enfants, bien sûr. Mon B a adoré, y compris le brownie végétalien du Café des chats.

 

Visité L’Anticafé, un concept international qui commence à faire des petits à Montréal. On prévoit en ouvrir cinq autres cette année au Québec. Le premier établissement est situé en face du Musée d’art contemporain, en plein centre-ville. La formule est attirante, 3 $ la première heure et 2 $ les heures suivantes pour le wi-fi (9 $ maximum/jour). Sélection de thés, cafés et biscuits gratuits à volonté. L’endroit est sympa, très convivial, hipster, pantoufles en Phentex remises à l’entrée. On peut même y apporter son lunch et tenir des réunions, regarder un film sur écran géant (salle de cinéma câblée) et faire la sieste (couvertures fournies) ! Ne manque que les chats… Musique douce et vue sur la place des Festivals. Impossible de trouver plus abordable.

 

Conservé la liste des 22 cafés à visiter à Montréal, trouvée sur le site Narcity. L’art de visiter sa ville en touriste, sur le mode farniente ou coworking. De belles découvertes, et L’Anticafé est mentionné comme petit dernier.

 

Appris qu’un café et espace de travail collaboratif ouvrira ses portes au premier étage de l’ancien siège social de la Banque Royale, rue Saint-Jacques à Montréal. L’endroit est magnifique et le café sera ouvert au public, qui pourra aller y travailler avec son portable dès le mois d’avril.

 

Filé comme un chat, sans faire de bruit. Petite pause ronron. De retour le 19 février.



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