Un homme de coeur vient de nous quitter
Jean-Paul L’Allier était un être exceptionnel. Je suis convaincue qu’il ne pourra y avoir aucune fausse note dans les commentaires qui vont accompagner son départ. J’ai eu l’occasion de le connaître assez bien grâce aux célébrations de la fameuse Saint-Jean sur le mont Royal en 1975. Il était alors le ministre des Affaires culturelles et il avait été mandaté par son patron de l’époque, Robert Bourassa, pour veiller au bon fonctionnement de l’entreprise. La relation que nous avons liée à ce moment-là a traversé le temps, les changements de cap, les responsabilités de tous ordres sans jamais abîmer l’amitié que nous avions développée.
Quand j’ai rejoint les rangs du Parti québécois pour l’élection de 1976, je lui avais confié que je ne souhaitais rien d’autre que d’être élue dans l’opposition, ce qui me donnerait le temps d’apprendre le métier et même peut-être de commencer à faire une plus grande place aux femmes en politique. Il m’avait souhaité bonne chance et je sais qu’il était sincère.
Le soir de l’élection, dans mon petit local d’élection du comté de Dorion, le premier libéral déclaré perdant à la radio avait été Jean-Paul L’Allier. Je suis restée bouche bée. Si L’Allier était défait, les résultats de la soirée venaient de prendre une tout autre allure. J’ai même trouvé que c’était très injuste, car de tout le Parti libéral, il était celui qu’il aurait fallu garder. Il était essentiel pour le Québec.
Quand, quelques jours plus tard, j’ai appris que j’allais devenir ministre des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières, la seule personne à qui j’ai pensé pour prendre un cours en accéléré, c’est Jean-Paul L’Allier, qui a eu la gentillesse de m’inviter chez lui, à l’île d’Orléans. Ma première question a été : comment on fait pour devenir ministre ? Ça l’a fait rire.
Il a préparé le souper. J’étais devenue une machine à questions. J’allais avoir de grosses responsabilités, car M. Lévesque venait de me dire ce qu’il attendait de moi et je réalisais pour la première fois que j’avais tout à apprendre.
Il a fini par m’expliquer, en riant, que j’avais beaucoup de chance, car j’étais déjà connue. Il m’a dit que je pourrais me présenter à mon ministère et que je n’aurais pas besoin d’expliquer en entrant que j’étais la nouvelle ministre qu’ils attendaient et que même si je ne faisais par leur affaire, ils devraient vivre avec.
J’étais déçue, pensant qu’il refusait de me répondre avec sérieux. Il m’a dit : « Ne t’inquiète pas, quelqu’un va se précipiter pour prendre ton manteau et te conduire à ton bureau. Le reste va venir tout seul. » Il avait raison. C’est exactement ce qui s’est passé.
Il a parlé plus que moi ce soir-là. Il m’a dit qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il allait devenir, mais qu’en même temps, ce qu’il venait de vivre lui ouvrait des horizons nouveaux et qu’il finirait bien par se caser quelque part.
Il m’a confié qu’il était tellement sûr que j’allais le remplacer aux Affaires culturelles qu’il avait fait remplir le hall d’entrée de son ministère de fleurs pour fêter mon arrivée. Il n’avait pas trop envie de fêter l’arrivée de celui qui allait prendre la place.
Nous avons abordé le projet d’indépendance que le Parti québécois voulait réaliser et, pour la première fois, je lui ai proposé de se joindre à nous. Je ne comprenais pas que cet homme si intelligent puisse être libéral. Il m’a répondu qu’il n’était pas prêt, mais qu’il y viendrait sans doute un jour, convaincu que la solution se trouvait probablement davantage dans le programme du PQ pour ce drôle de pays qui s’appelle le Québec.
Pendant toutes ces années, Jean-Paul L’Allier a été mon ami. Grâce à l’ordinateur, nous pouvions nous écrire parfois des choses très sérieuses. Il m’envoyait des pages entières de journaux étrangers pour me rappeler que la terre est ronde et qu’il faut avoir l’oeil ouvert sur toute la planète pour comprendre ce qu’il s’y passe. Parfois, il m’envoyait des caricatures assassines qui me faisaient rire de bon coeur. Je ne l’ai jamais vu de mauvaise humeur, ou triste, ou déçu. Il avait constamment des projets de toutes sortes et il assumait les responsabilités qui en découlaient.
Jean-Paul L’Allier était un ami précieux. Son départ laisse un vide qui ne sera jamais comblé. C’est à ce vide qu’ils laissent, justement, qu’on reconnaît les grands hommes. Il a aimé la vie, les gens, et il a aimé sa ville profondément. Il avait une formidable capacité d’analyse qui ne lui a jamais fait défaut.
Il n’a pas eu que des amis. C’est probable. On ne peut pas brasser tellement de dossiers, de mauvaises habitudes, de petites et grandes trahisons toute sa vie en ne se faisant que des amis. C’est impossible. Mais ceux et celles qui sont liés d’amitié avec lui pleureront longtemps sa perte. Ce n’est que justice. Nous lui devons tant.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.