Le temps qu’il a fait en 2015

Temps long, temps court, temps contracté, temps malmené, temps horrifié… En 2015, l’actualité politique, économique, sociale tout comme les mutations de nos comportements humains de plus en plus numérisés ont forcément eu une incidence sur la temporalité des choses. Quel temps a-t-il fait cette année et comment ces temps ont-ils un peu changé notre perception de la réalité ? Petit bilan en jours, heures, minutes et parfois secondes…

10 minutes. C’est le temps qu’il a fallu à Saïd et Chérif Kouachi pour emporter dans la mort absurde douze personnes en s’attaquant au journal satirique Charlie Hebdo en janvier dernier à Paris. Cela correspond à plus d’une victime par minute. Les très inoffensifs Cabu, Charb, Tignous, Honoré et Wolinski, tout comme l’éclairé économiste Bernard Maris, sont tombés, dans ce très court laps de temps qui résonne comme une éternité, sous les balles de l’obscurantisme. On les accusait de blasphème. Ils étaient surtout des adolescents attardés.

23 minutes. Il n’en fallait pas plus, le 13 novembre dernier, dans la même ville, pour noircir durablement les perceptions. Sortir, danser, boire, partager en terrasse, se mélanger, se donner l’impression d’être vivant en criant sur une chanson populaire au-delà des nationalités, des apparences, des classes sociales, étaient jusque-là, dans la Ville Lumière, un art de vivre, des modes de socialisation, de divertissement sans conséquence autre qu’un éventuel mal de tête. Les rafales de kalachnikov d’un groupe de terroristes aveuglés par leur haine et manipulés par l’odieux ont désormais tout changé.

131 jours. En 2015, c’est le temps qu’a duré le retour en politique de Gilles Duceppe à la tête du Bloc québécois, en remplacement de Mario Beaulieu et en prévision du scrutin fédéral du 19 octobre dernier. Cent trente et un jours qui ont permis à la formation politique de remporter six sièges de plus qu’en 2011 en perdant toutefois 72 773 électeurs par rapport au scrutin précédent.

21 jours pour démontrer que la politique ne repose jamais sur des certitudes. Présenté comme le successeur probable aux conservateurs dans les sondages d’avant-campagne, le NPD de Thomas Mulcair n’a pas eu besoin d’un jour de plus pour faire pâlir son étoile montante en pleine campagne, à la faveur du Parti libéral de Justin Trudeau, qui a rapidement pris sa place dominante dans les mêmes sondages. Et la suite des choses fait désormais partie de l’histoire…

45 minutes et 2500 $ pour une famille. C’est le temps qu’il a fallu à des centaines de milliers de migrants pour rejoindre l’Europe par la mer sur des embarcations de fortune entre la Turquie et la Grèce. La même traversée sur les catamarans réservés aux touristes, mais interdite aux exilés faute de visa, aurait duré 30 minutes de moins et coûté à peine 20 dollars pour un adulte et 3 dollars pour un enfant, aller-retour. Quarante-cinq minutes, c’est aussi le temps qu’il a fallu à des milliers de migrants pour perdre la vie en pleine mer, comme pour le petit Alan Kurdi, trois ans, sa mère et son frère Ghalid, cinq ans.

1855 jours. Plus de cinq ans, quoi, soit le temps consacré par le ministère des Affaires étrangères du Canada pour planifier le premier tweet livré sur le compte Twitter @Canada, vitrine du pays sur ce réseau. C’est La Presse canadienne qui a fait la découverte cette année en passant par la loi d’accès à l’information. Plus de cinq ans pour un tweet qui disait, en substance, que le Canada est désormais sur Twitter, accompagné d’un « eh », pour faire plus jeune. En 2015, la durée de vie d’un tweet a été d’environ une minute pour la plupart des abonnés et de dix-huit minutes pour une minorité d’abonnés influents, soit trois minutes de moins qu’une année plus tôt.

1 heure 42 de plus, pour 22,2 heures par semaine. Voilà le temps passé chaque semaine sur l’Internet par les Québécois, selon les données les plus récentes du CEFRIO. Mais encore ?

Six heures trente. C’est le temps moyen d’une nuit de sommeil chez les étudiants qui manquent sans l’ombre d’un doute de sommeil. Ils ne sont pas seuls : 30 % des adultes et 66 % des adolescents ont mal dormi en 2015, la faute à ces écrans fréquentés avant de se coucher et qui, a révélé la science cette année, viennent forcément troubler le sommeil avec à la clé une productivité en baisse et une humeur massacrante qui s’installe le lendemain matin. Mais encore ?

Du coup, une demi-seconde, c’est forcément le temps qu’il a fallu cette année pour enflammer les réseaux sociaux en cliquant pour envoyer ce message surjouant l’émotion et l’indignation, ce tweet qui nourrit la colère et la frustration, installe la peur et la démesure, et qui cette année encore est venue contracter et modifier la perception de notre temps.

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