Sur les chapeaux de roue

Le premier ministre Justin Trudeau semble être partout à la fois. Même chose pour plusieurs de ses ministres. Cela fait seulement deux mois, jour pour jour, qu’ils ont été élus, mais cela semble déjà très loin tant les événements et les décisions se sont précipités.

Rarement a-t-on vu un nouveau gouvernement démarrer son mandat avec une telle frénésie. M. Trudeau et son équipe ont promis du changement, ils sont passés aux actes. La vitesse à laquelle ils le font est en partie inspirée par leur désir de marquer le coup et de frapper l’imagination, mais la vraie raison est qu’ils n’avaient pas le choix. Le calendrier exigeait qu’ils plongent sans se retourner.

D’abord, la date des élections. Tout nouveau gouvernement élu au milieu de l’automne mais désireux de mettre en vigueur une mesure fiscale dès le 1er janvier suivant aurait été forcé de rappeler le Parlement rapidement. C’était le cas des libéraux qui voulaient que leur promesse phare, la baisse d’impôt pour ladite classe moyenne et la hausse pour les mieux nantis, soit en place dès le début de 2016.

On a eu droit, par conséquent, à une des plus petites pauses des 60 dernières années entre l’élection d’un nouveau parti au pouvoir et la reprise des travaux parlementaires. Seul Lester B. Pearson a pris moins de temps que Justin Trudeau. Élu pour la première fois 8 avril 1963, il n’a attendu que 38 jours pour rappeler le Parlement, comparativement à 45 pour M. Trudeau.

 

D’autres échéances ont forcé la main des libéraux. Le recensement prévu pour 2016 exigeait une décision rapide sur le rétablissement du questionnaire long, et ce fut fait dès la première réunion du nouveau cabinet.

Quatre sommets internationaux en cascade étaient à l’horaire en novembre. Ce marathon a mis M. Trudeau sous les feux des projecteurs, mais l’a forcé à poser certains gestes sans attendre. Il avait promis de se rendre à la conférence de Paris sur le climat en compagnie de ses homologues provinciaux. Il l’a fait, mais a dû préparer le terrain en convoquant sans délai une rencontre des premiers ministres, la première en sept ans.

Incapable de respecter l’échéance imposée par la Cour suprême dans le dossier de l’aide médicale à mourir (début février), le gouvernement a dû présenter une demande de prolongation de la suspension de la décision. Mais pour espérer avoir gain de cause, il devait démontrer sa volonté d’agir vite, ce qu’il espère avoir fait en formant un comité parlementaire spécial la semaine dernière.

La question autochtone s’est imposée rapidement, l’Assemblée des Premières Nations ayant organisé une assemblée spéciale des chefs la semaine dernière à Gatineau. Et cette semaine, c’était la Commission de vérité et réconciliation qui rendait public, comme prévu, son rapport final.

M. Trudeau, qui a toujours dit faire de cet enjeu sa priorité, devait poser des gestes concrets pour démontrer son sérieux et éviter la déception. Il a multiplié les discours, répété ses engagements, assisté au dévoilement du rapport mais, surtout, a mis en branle le processus de mise sur pied d’une enquête sur les femmes autochtones assassinées et disparues.

Le calendrier budgétaire étant ce qu’il est, le ministre des Finances, Bill Morneau, a dû de son côté présenter la traditionnelle mise à jour économique et budgétaire de l’automne, mauvaises nouvelles comprises.

Il y a enfin toute cette opération titanesque d’accueil de 25 000 réfugiés syriens. Dans ce cas-ci, ce sont les libéraux par contre qui se sont imposé un échéancier et des objectifs dont le réalisme a été vite mis en doute. Ils ont dû s’ajuster et reporter à la fin février l’atteinte de leur cible. Ils ont toutefois mis la machine en marche, et à plein régime.

 

Pareil programme aurait pu donner lieu à de sérieux dérapages, mais aucun ministre ni le premier ministre ne se sont vraiment mis les pieds dans les plats. Ils ont pourtant été très présents sur la place publique et dans les médias, une nouveauté comparativement à l’ère Harper. Il y a eu des faux pas, mais rien de suffisamment sérieux pour interrompre une lune de miel qui perdure.

On commence à reconnaître les ministres les plus solides et les recrues les plus prometteuses. Plusieurs ministres ont passé avec succès leurs premiers tests. On pense au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, John McCallum, à la ministre de la Santé, Jane Philpott, ou encore à celle de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna.

La tâche va toutefois se compliquer au retour des Fêtes. Les libéraux devront finalement clarifier leurs intentions en ce qui concerne la contribution militaire canadienne à la lutte contre le groupe armé État islamique. La préparation du budget s’avérera plus compliquée étant donné l’état des finances publiques. La question de la taille du déficit sera au centre des préoccupations. Le dossier des changements climatiques reprendra l’avant-scène, Ottawa et les provinces devant toujours s’entendre sur des cibles et un plan communs.

Voilà autant de dossiers qui mettront à l’épreuve le vernis qui recouvre encore le nouveau gouvernement.

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