Notre part

Le rapport est imposant. À la mesure des six années que la Commission de vérité et réconciliation a consacrées à faire oeuvre de mémoire pour les victimes des pensionnats autochtones, que ce soit les survivants ou ces milliers d’enfants qui n’en sont jamais revenus.

Les commissaires avaient déjà levé le voile en juin sur de grands pans de cette tragédie, et fait comprendre combien elle avait privé sept générations d’enfants autochtones, métis et inuits de l’affection et de la tendresse de leurs parents, les laissant traumatisés et sans repères pour élever leur propre famille.

Mardi, les commissaires ont bouclé la boucle avec des milliers de pages décrivant en détail l’histoire de ces pensionnats, le colonialisme qui les a inspirés et les séquelles qu’ils ont laissées. Un des sept volumes est d’ailleurs consacré en totalité aux impacts de cette politique de génocide culturel.

Ces années de brimades, de violence, d’intimidation, de négation de l’identité, de dévalorisation de la culture, de dénigrement des traditions autochtones ont creusé de profondes cicatrices, allant d’une intense honte de soi à la dépression et au suicide, en passant par une colère et une douleur que seuls l’alcool et la drogue ont pu apaiser. La maltraitance s’est souvent perpétuée.

Cette expérience traumatisante a accentué encore plus les écarts en matière d’éducation, de santé et de revenu. « Des écarts qui condamnent de nombreux autochtones à mener une existence plus brève, plus pauvre et plus perturbée », écrivent les trois commissaires.

Cette réalité a trop longtemps servi à alimenter non pas la compassion, mais les stéréotypes, « le racisme intense » et la « discrimination systémique » envers les autochtones. Leurs enfants en paient encore le prix puisqu’un nombre disproportionné d’entre eux est pris en charge par les services de protection de l’enfance, sans parler du taux effarant d’incarcération des jeunes.

Les commissaires n’attribuent pas tous les problèmes vécus par les autochtones à l’expérience des pensionnats. Ces derniers sont par contre « liés aux politiques autochtones du gouvernement fédéral au cours des 150 dernières années, écrivent-ils. Les pensionnats, qui cherchaient à refaçonner chaque nouvelle génération d’enfants autochtones, représentaient un élément à la fois central et emblématique de ces politiques. » Et ce n’est pas terminé, ajoutent-ils.

 

La Commission a abattu un travail titanesque mais n’a fait qu’amorcer le travail, il reste à briser le cycle. Le plus gros reste à faire. Le premier ministre Justin Trudeau a de nouveau promis mardi de mettre « intégralement en oeuvre » les recommandations de la Commission. Elle en a fait 94, plusieurs très costaudes, complexes et dispendieuses.

M. Trudeau a précisé qu’il comptait y parvenir « en partenariat avec les communautés autochtones, les provinces, les territoires et d’autres partenaires importants ». Un de ces partenaires incontournables sera le public canadien, mais encore faut-il que le gouvernement l’interpelle.

Il ne part pas de rien. Grâce à la Commission, une bonne partie des citoyens connaît un tant soit peu la réalité méconnue des pensionnats autochtones. C’est grâce à elle encore qu’ils comprennent mieux la source de bien des maux affligeant plusieurs communautés.

Ce travail patient fait son oeuvre. L’opinion publique évolue, lentement mais sûrement. Les efforts de sensibilisation du mouvement Idle No More ont contribué à changer les mentalités, tout comme la campagne soutenue en faveur d’une enquête sur les femmes autochtones tuées et disparues.

 

Les gouvernements fédéral et provinciaux ont montré dans le dossier des réfugiés syriens qu’ils pouvaient, lorsqu’ils le voulaient, rallier le public derrière une cause commune. Avant et après les élections, M. Trudeau n’a cessé de faire appel aux meilleurs instincts des Canadiens. La plupart des premiers ministres provinciaux ont fait preuve de la même empathie. Les citoyens, déjà bouleversés par les images en provenance de Grèce et d’ailleurs, étaient bien disposés et ont rapidement répondu à l’appel.

Les gouvernements, mais surtout le fédéral, auraient intérêt à se servir du rapport publié mardi pour tenter de faire de même dans le dossier autochtone. Aider les Premières Nations, les Métis et les Inuits à se délester du lourd legs des pensionnats n’a aucune commune mesure avec l’accueil des réfugiés. Il n’y a pas de sélection ici, ni d’échéancier à court terme ou de facture largement prévisible.

Le gouvernement devra s’inscrire dans le long terme pour négocier de nouveaux traités, réformer les institutions, revoir les lois, choisir les investissements à faire pour améliorer les conditions de vie. Il ne pourra pas tout faire en même temps. Pour arriver à son but, il faudra qu’il puisse passer le témoin au gouvernement suivant sans craindre de voir l’élan se briser, comme ce fut le cas avec l’accord de Kelowna. Pour cela, il doit sentir la population derrière lui.

Justin Trudeau fait des enjeux autochtones une priorité. La volonté politique, on le sent, y est, mais pour réussir, il lui faudra aussi une véritable volonté populaire.

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