Séries hors série
En première période dimanche soir, les Blackhawks de Chicago avaient le bonheur de se trouver en supériorité numérique contre les Canucks de Vancouver lorsque Patrick Kane fit une passe, depuis le cercle de mise en jeu droit en zone adverse, à Duncan Keith posté à la ligne bleue. Celui-ci remit au cercle gauche à Artemi Panarin, qui dégaina sur réception. Le tir aboutit en plein sur le poteau et la rondelle, après avoir frappé la rampe, revint sur la palette de Panarin. Celui-ci entreprit d’évaluer ses options alors même que Keith s’avançait jusqu’au cercle gauche. Panarin le repéra, lui expédia le caoutchouc et Keith lança et compta. (Profitons-en d’ailleurs pour songer à ce que ça donnerait si les personnages de Lance et compte parlaient au passé simple. « Pierre, je voulus passer à l’Ouest. » « Comme ça, y en a qui considérèrent que je fus un enfant de chienne, un jaloux, un plein d’…» D’accord, arrêtons-nous ici.)
Ainsi, au terme d’un parcours de disque à la trajectoire improbable — combien de fois un gars qui vient de lancer sur la tige verticale a-t-il l’occasion de reprendre immédiatement possession ? — Kane a-t-il obtenu une mention d’aide et, du coup, au moins un point dans un 26e match consécutif. Le même Kane dont le début de saison a été troublé par une sombre fausse histoire d’agression sexuelle. Joli redressement.
Dans le merveilleux monde du sport™, les longues séquences ont le don de frapper l’imaginaire et de captiver l’amateur professionnel. La semaine dernière était évoqué ici même le dossier des Warriors de Golden State, qui ont finalement lâché prise samedi contre les Bucks de Milwaukee, s’inclinant 108-95 après 24 victoires en 24 joutes pour amorcer la saison.
Et quiconque était alors en âge de calculer une moyenne au bâton conserve vivace un souvenir ému de l’épopée de Pete Rose, qui frappa en lieu sûr dans 44 matchs d’affilée en 1978. Alors que la série de Rose s’allongeait, l’Amérique éprouvait un tel engouement pour la chose que des réseaux de télévision interrompaient leur programmation régulière pour montrer ses présences à la plaque. Il fallait se farcir trois quarts d’heure d’une émission plate dans l’espoir de voir ça, mais c’en valait la peine.
Pendant que Rose s’exécutait, on nous rappelait sans cesse que la deuxième plus longue séquence de l’histoire du baseball majeur appartenait à Wee Willie Keller, des Orioles de Baltimore, qui avait réussi au moins un coup sûr dans 45 matchs de suite en 1896 et 1897. Wee Willie Keeler ? 5 pieds 4 1/2 pouces et 140 livres, à tel point expert dans l’art du coup filé qu’il a été à l’origine du règlement selon lequel une fausse balle sur un amorti pour une troisième prise provoque un retrait au bâton. Wee Willie Keeler, un homme d’une grande sagesse qui, lorsqu’on lui avait demandé le secret de ses succès au bâton, avait répondu : « Voyez clair et frappez-la là où ils ne sont pas. »
Personne n’avait en revanche besoin de rafraîchir la mémoire de la collectivité quant à l’auteur de la plus longue séquence de l’histoire et à la durée d’icelle. Dites « 56 » lors de votre prochain coquetel mondain et il se trouvera invariablement quelqu’un pour vous relancer avec « Joe DiMaggio, 1941 ». Au rayon des records dont il est lourdement déconseillé par Santé et Bien-être social Canada de retenir sa respiration en attendant qu’ils soient battus, celui-là occupe l’une des étagères du haut, et ce n’est pas parce qu’il est tabletté, seulement mythique. Il faut d’ailleurs lire DiMaggio, The Hero’s Life, l’une des nombreuses biographies de « Joltin’Joe », pour comprendre combien cet épisode fut marquant même à une époque où les communications n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui et comment DiMaggio a été statufié de son vivant, l’homme le plus populaire aux États-Unis et le principal sujet de discussion quelques mois avant que Pearl Harbor ne vienne détourner un peu l’attention.
Bien sûr, Kane demeure encore loin de passer à la postérité, puisqu’un dénommé Wayne Gretzky a inscrit au moins un point dans 51 matchs d’affilée en 1983-1984, et il est le premier à reconnaître qu’il faut beaucoup de chance pour réaliser ce type d’exploit.
Mais nous sommes nombreux à consulter les sommaires et à espérer y trouver son nom.