Défilé des fusils à Marrakech

Branle-bas de combat au Festival de Marrakech, après tous ces massacres au nom de l’islam. Cinéastes et acteurs commentent les « récents événements » à pleins micros. À moi, elles semblent irréelles, ces menaces, et le sont sans doute jusqu’à ce qu’on vous tire dessus, remarquez. Les festivals internationaux feraient une cible de choix : plusieurs grosses pointures dans un espace restreint. Boum ! Kaput !

Et la une de tous les médias du monde pour des lustres.
 

D’habitude, les vedettes françaises tendent leur beau profil dans ce chic rendez-vous exotique dont les têtes directrices, Mélita Toscan du Plantier et Bruno Barde, sont parisiennes. Cette fois, l’oeil les cherche en vain sur les tapis rouges. Le Danois Thomas Vinterberg fut remplacé in extremis par Sami Bouajila au jury.

Annuler ? Pas question ! « Il faut associer le monde musulman à autre chose qu’au terrorisme », tranchèrent les bonzes du festival. La toute première édition de ce rendez-vous s’était déroulée 15 jours après le 11 septembre 2001. À eux, l’habitude des gestions de crise.

Le cinéaste et acteur italien Sergio Castellitto, membre du jury, confesse avoir craint de venir à Marrakech dans la foulée des attentats de Paris, avant de se réviser par principe : « Après tout, être un artiste, c’est posséder une vision d’avenir et la partager. Aussi, ajoutait-il avec humour, parce qu’on m’a prévenu qu’en cas de refus, je pourrais trouver une tête de cheval coupée dans mon lit… »

On entend des actrices parler de « ce coin du monde » avec des trémolos dans la voix, comme si une frontière invisible séparait la civilisation de la barbarie.

En état d’alerte maximale

Prenez le système de sécurité. Il a doublé ses effectifs par rapport à 2014. Afin de rassurer les gens, nous précise-t-on, par peur aussi, fondée ou pas. Les policiers sont partout, en civil, en brigades spéciales, garde royale y compris. Même des soldats en tenue de camouflage déambulent devant le très urbain Palais des congrès, coeur du festival, en ne camouflant rien du tout.

Les attentats de Paris nous valent cet état d’alerte maximal, également ceux de Tunis, le 24 novembre dernier, durant Les journées cinématographiques de Carthage dans l’ancienne cité punique en banlieue de la capitale tunisienne.

À mon hôtel, un employé du festival, venu de Rabat, révèle que ses amis lui téléphonent en le sommant de faire attention à lui. « Et je suis Marocain, c’est dire ! »

La ville ocre est réputée pour ses roses, exportées partout, épanouies sous ce climat sec. Au milieu de la grande avenue Mohammed-VI trône à pleines allées cette reine des fleurs, avec bancs destinés aux badauds admiratifs.

Halte-là ! Une partie des allées odorantes est désormais bloquée par des gardes armés qui vous intiment l’ordre de circuler ailleurs. Finie, la rêverie.

Le périmètre de sécurité se voit élargi bien au-delà du Palais des congrès, et les systèmes de contrôle, scanneurs, drones et tout le bazar, rivalisent avec ceux des aéroports. Même les hôtels sont sous escorte armée. Voici les festivals transformés en forteresses. À Cannes, on prévoit un nouveau défilé des fusils.

Le cinéma salvateur

 

Ne comptez pas sur Jean-Pierre Jeunet, autre membre du jury, réticent à venir ici, dit-on, pour poser en preux chevalier des Croisades : « Il y a une trentaine d’années, j’ai travaillé pour Charlie Hebdo. Et si on m’avait proposé de faire un film sur vous savez qui [Mahomet], j’aurais refusé. Les kalachnikovs sont plus fortes que l’art. » Il dévoile le fond de sa pensée, le cinéaste d’Amélie Poulain — aucune envie d’y laisser sa peau —, pas nécessairement ce qu’il convient d’affirmer, la main sur le coeur : « L’art vaincra. »

Ce rôle échoit à Francis Ford Coppola, président du jury, qui atteste du pouvoir salvateur du cinéma contre la loi des armes. Et de louer la sérénité du Coran : « Loué soit Dieu, le plus miséricordieux, le plus clément. C’est toi que nous vénérons et nous te demandons de nous guider sur le droit chemin. Le chemin des bénis et non de ceux qui suscitent la colère. » Ambiance !

Salvateur tant qu’on voudra, le cinéma referme ses bobines sur les interprètes de culture musulmane. D’où les soupirs de l’acteur français d’origine tunisienne Sami Bouajila. En 1998, il avait incarné un terroriste palestinien pour The Siege d’Edward Zwick aux côtés de Denzel Washington. Mal lui en prit. « Si vous saviez la pléthore de rôles du genre que j’ai refusés depuis… Une grande partie de ma carrière s’est passée à tenter de sortir de ces stéréotypes-là. »

Bouajila rêve à des propositions artistiques non politiques. Voeux pieux. Lui et ses semblables, grands acteurs de l’Hexagone, voient déjà se démultiplier à l’infini les profils d’Arabes qui crient : « Allah Akbar ! » avant de tirer dans le tas.

Plus hauts que les remparts ocre de la médina percés de meurtrières, l’art salvateur a de ces murs d’enceinte…

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