Faut-il passer le bistouri dans la rémunération des médecins?

Qui aurait dit qu’une présidente de fédération de médecins spécialistes reprendrait un jour le slogan des policiers et autres syndiqués des cités et villes du Québec ? « On n’a rien volé, s’est en effet exclamée Diane Francoeur, on n’a rien caché, on n’a rien camouflé », a-t-elle ajouté, évoquant le gang des ponts et chaussées et l’achat au noir d’élections malhonnêtes. Vraiment ? Même si des politiciens, d’ordinaire fort vantards, n’ont guère été bavards à propos des millions qu’ils ont cédés aux docteurs, rien n’aurait donc ici été mal acquis ?
Policiers et médecins, même combat ? On le croirait à voir la présidente Francoeur comparer la rémunération de ces spécialistes à celle de leurs collègues du Canada. À vrai dire, la rémunération des policiers de Montréal, longtemps conflictuelle, fit dans le passé l’objet d’un accord de principe : ils auraient « la parité avec Toronto ». La paix syndicale est revenue dans les postes de police, jusqu’en octobre 1969, alors que les policiers, débrayant inopinément, furent remplacés par des soldats de l’armée fédérale !
À l’époque, Le Devoir trouve le compromis qui va ramener l’ordre dans la ville. Les policiers de Montréal garderaient la parité avec Toronto, mais ce serait une parité relative et non plus absolue. Leur paie tiendrait compte de la différence du salaire industriel entre la Ville reine et la métropole québécoise. Quant à leur caisse de retraite, privée de la contribution patronale par un maire aux grandeurs dispendieuses, elle sera remboursée par les futurs contribuables.
Pourtant, on n’arrête pas le progrès. Les policiers de Montréal inventèrent une autre demande syndicale, la « prime de pénibilité », qui aurait ajouté aux salaires comparatifs un extra local. Les docteurs du Québec et d’ailleurs ne manquent pas d’extra, à en juger par les rémunérations qu’ils ont décrochées. Or, d’après des statistiques fiscales des dernières années, le salaire médian du pays plaçait les spécialistes au sommet (350 000 $) et, au 4e rang, les officiers de police (107 250 $).
La question fondamentale, néanmoins, reste l’équité. Les syndiqués du secteur privé qui ont obtenu un « juste salaire » ont toujours eu recours à un « rapport de force ». Dans le secteur public, policiers, pompiers, juges et parfois médecins ont gagné des avantages notables, tout en étant privés du droit de grève, grâce souvent à l’appui de la population. Toutefois, on l’a vu avec l’équité salariale, ni moyens financiers, ni comparaison, ni concurrence n’ont permis de faire prévaloir un critère de rémunération qui soit équitable.
Certes, depuis la Constitution de 1982, les gouvernements du pays se sont engagés à fournir à tous les citoyens, « à un niveau de qualité acceptable », les services publics essentiels. Santé et sécurité tombent dans cette catégorie de services. C’est pourquoi une péréquation fédérale permet aux provinces d’en fournir qui soient de qualité et de fiscalité « comparables ». Mais cet engagement est encore loin d’avoir, 25 ans après, répondu aux conditions de vie des populations et aux besoins des personnes assurant les services.
Car, pour les populations autochtones, les milieux ruraux, les quartiers pauvres, la disparité des services de sécurité ou de santé est flagrante, pour ne pas dire scandaleuse, quelle que soit la philosophie des gouvernements au pouvoir. Un médecin n’ira guère, dit-on, là où la médecine ne dispose pas de moyens modernes ; une prime ne saurait donc compenser une telle lacune. Et, là comme ailleurs, le vicieux virus du « développement des affaires » menace le sens professionnel.
Les affaires payantes, il est vrai, ne minent pas la Gendarmerie royale. L’agent en poste à Moncton risque, de nos jours, de se faire tuer autant qu’un agent à Vancouver. Mais si, à Moncton, il peut loger sa famille à un coût raisonnable, à Vancouver une maison comparable lui coûterait près d’un million ! Malheureusement, il n’y a plus beaucoup d’éthique dans l’immobilier des grandes villes. Les gens modestes s’y font étrangler et les salariés de l’État, même bien payés, sont rattrapés par la spéculation.
Les crises récurrentes dans les négociations du secteur public ne touchent pas que les médecins ou les policiers. Ceux-ci ne veulent pas être « traînés dans la boue » comme d’autres professionnels dont les méfaits ont été étalés à l’enquête de la commission Charbonneau. Ils ne sont pas responsables, non plus, des faiblesses chroniques des contrôles bureaucratiques, plus lourds que compétents. Mais de récessions en hausses de taxes, le simple citoyen s’impatiente de plus en plus des « gros privilégiés » au crochet de l’État.
Au Québec, avoir maintenant un neurochirurgien plutôt qu’un avocat comme premier ministre, ou un radiologiste plutôt qu’un gestionnaire à la tête de la Santé, n’aura guère été rassurant. À vrai dire, quel ministre, d’où qu’il provienne, a jamais osé mettre de l’ordre dans son milieu d’expertise ? D’aucuns excellent plutôt à tolérer le désordre, voire à le laisser semer par les comptables du Trésor. L’État, mal nécessaire, est-il devenu mal inutile ?
Ou la source du mal est-elle ailleurs ? Comment compter dans l’avenir sur des professionnels qui voient dans la médecine, le droit, la comptabilité, le génie un service aux personnes et aux communautés d’abord et avant tout, et non pas un moyen de s’enrichir aux frais de leurs concitoyens ou aux dépens des gens d’autres pays ? Qui se souvient du pénitencier de SNC-Lavalin en Libye ? Les contribuables d’ici ne paieront pas éternellement la formation de gens qui les exploitent tout en bénéficiant d’un monopole d’exercice…
N’en déplaise aux adulateurs du « modèle québécois », l’heure approche d’y pratiquer de vraies chirurgies.