Jeux de chiffres

On ne s’en sort pas. Peu importe le gouvernement au pouvoir, il trouve toujours son compte dans les données budgétaires qu’il présente à la population, même quand les nouvelles ne sont pas toujours roses. Les libéraux, par exemple, ont promis un budget équilibré pour 2019-2020, la Mise à jour économique et budgétaire du 20 novembre dernier nous en prédit un. Sans tenir compte des engagements libéraux, faut-il préciser.

Dans cette mise à jour, le ministère des Finances indiquait que le budget fédéral serait déficitaire pendant quatre ans et non pas excédentaire comme le montrait le budget conservateur au printemps. Ce n’était pas une bonne nouvelle pour les libéraux, qui se retrouvent obligés de choisir entre leur promesse de maintenir le déficit sous la barre des 10 milliards et celle de respecter les engagements, coûteux ou pas, inscrits dans leur plateforme.

Ils savaient pourtant à quoi s’attendre, du moins en partie. Le directeur parlementaire du budget (DPB) avait déjà prédit en avril que le gouvernement serait en déficit pour la durée du prochain mandat. Les soldes négatifs qu’il avait prévus et soumis au comité des finances étaient moins importants que ceux qu’il anticipe maintenant, mais ils étaient négatifs, y compris pour 2019-2020.

Après avoir examiné la dernière mise à jour, il reste sur ses positions. Quoi qu’en dise le ministère des Finances, Ottawa en a encore pour au moins cinq ans à écrire ses budgets à l’encre rouge et il s’agit d’un scénario de statu quo.

Dans un rapport publié mardi, le DPB convient que le nouveau gouvernement a rétabli certaines mesures de prudence que les conservateurs avaient réduites, ce qui avait gonflé du même coup leurs prévisions de revenus et permis d’afficher un excédent. Mais les libéraux ne sont pas allés au bout de l’exercice.

 

Ils n’ont pas tiré les conclusions qui s’imposaient de cette correction. Comme je l’expliquais récemment, le gouvernement s’appuie sur les prévisions d’économistes du secteur privé pour élaborer son budget. Ces derniers soumettent entre autres une estimation du produit intérieur brut (PIB) qui sert ensuite de base aux prévisions de revenus du gouvernement.

Par prudence, le gouvernement réduit la valeur de cette prévision d’à peu près 1 %, ce qui diminue d’environ 3 milliards ses prévisions de revenus. Le printemps dernier, le gouvernement a décidé de limiter la réduction du PIB à 7 milliards, ce qui a permis d’accroître les prévisions de revenus d’environ 2 milliards.

Les libéraux ont renoué avec un ajustement de 20 milliards. Cela a évidemment eu un effet à la baisse sur les revenus anticipés et, par ricochet, sur le solde budgétaire, d’où les déficits annoncés. Cet ajustement de 20 milliards pourrait toutefois être insuffisant, explique Mostafa Askari, le DPB adjoint, car les estimations du secteur privé seraient, selon lui, trop optimistes. Les ajustements apportés par le gouvernement ne compenseraient que le risque posé par un prix du pétrole plus faible et non le risque d’une croissance moins vigoureuse que prévu.

Tout cela a un impact sur les revenus. Mais ce n’est pas tout. Bien qu’on ait revu à la baisse la croissance du PIB, on n’a pas réduit d’autant les prévisions de revenus, relève M. Askari, ce qui explique l’essentiel de la différence entre les conclusions du DPB et celles du gouvernement.

 

Cette façon de triturer les chiffres, délibérée ou non, crée une certaine confusion et ne sert personne, à part ceux qui voudraient préserver le vernis d’un engagement politique. Les prévisions économiques et budgétaires sont les pierres angulaires du cadre de planification à court et moyen terme d’un gouvernement.

Avec tout ce que les libéraux ont promis et tout ce qu’ils annoncent depuis moins d’un mois, non seulement le public, mais les parlementaires et le gouvernement ont tout intérêt à avoir l’heure juste. Pour juger de l’ampleur des efforts à faire pour mettre en place ces politiques, il faut connaître les moyens dont le gouvernement dispose. S’il doit emprunter pour arriver à ses fins, il a l’obligation de le faire avec le plus de transparence possible.

Ce sont justement les surprises de fin d’année, ces fameux déficits ou surplus plus plantureux que prévu, qui ont poussé l’opposition à exiger, sous les règnes de Jean Chrétien et de Paul Martin, la création d’un bureau du directeur parlementaire du budget. Les libéraux ont résisté à l’époque, mais les conservateurs l’ont promis et, une fois élus, l’ont heureusement fait.

On peut les en remercier, même s’ils n’ont que rarement apprécié son travail et ont souvent attaqué sa crédibilité. Le DPB a tenu bon et est devenu la référence pour voir à travers un certain brouillard trop souvent politique.

Le travail n’est toutefois pas terminé. Les libéraux doivent maintenant faire leur bout de chemin. Ils ont promis « une autonomie pleine et entière » au DPB, un budget suffisant et le pouvoir, en campagne électorale, de vérifier les cadres financiers des partis. Le plus important à court terme reste cependant l’accès aux documents dont il a besoin, ce à quoi a souvent résisté le dernier gouvernement malgré ce qu’exigeait la loi.

À voir en vidéo