L’empreinte de «La guerre des tuques»
J’ai longtemps croisé Maripierre A. D’Amour entre coulisses, scènes et couloirs, elle qui travaillait en communication dans plusieurs secteurs du cinéma. Une fille intelligente au beau sourire. Allumée, et sensible.
À chaque commémoration ou hommage entourant le film La guerre des tuques, on la voyait changer de chapeau, rencontrer le public, accorder des entrevues. En 2009, pour les 25 ans du film, un documentaire avait été tourné avec réminiscences de l’équipe. On l’y voyait aussi.
Maripierre avait été la Sophie de ce premier Conte pour tous de Rock Demers, inspiré de La guerre des boutons. Dans l’imaginaire collectif, elle demeure la préado intrépide chef de bande du film d’André Mélançon dans un Baie-Saint-Paul enneigé. En 1984, même les adultes allaient voir La guerre des tuques au cinéma, sans se bâdrer de se faire accompagner par quelque enfant pro forma, tant la rumeur en disait grand bien.
Autour du fort de neige où les deux capitaines de camps opposés, amoureux en secret, stimulaient leurs troupes grouillait une galerie vivante et colorée : « la bolle » François les Lunettes, les jumeaux Leroux à la Tweedledum et Tweedledee, le pacifique Ti-Guy la Lune, le journaliste en herbe agité du bocal Daniel Blanchette, la vieille chienne Cléo aimée de tous, etc. C’était délicieux.
Alors que sa version animée en 3D (charmante) se prépare à sortir la semaine prochaine sur un tas d’écrans, les produits dérivés du film à pleins étals proposent tuques en tous genres, figurines, t-shirts, peluches à l’effigie du chien Saint-Bernard et autres balles de neige en fibre, pour fêter son avènement.
Mais que reste-t-il de l’oeuvre initiale, le plus illustre des Contes pour tous et fragment de patrimoine ? Immense succès du temps, vendu dans 125 pays, ceux qui l’avaient découvert petits l’auront montré à leurs propres enfants, en gardant la chaîne vivante. Oui, mais encore ?
J’ai donné rendez-vous au resto à Maripierre. Cédric Jourde, alias Luc Chicoine, le chef du gang rival, est venu nous rejoindre. Tous deux offrent leurs meilleurs voeux de succès à l’animation 3D et se félicitent que Rock Demers n’ait pas donné de feu vert à un remake avec acteurs. Ils partagent pourtant la même crainte : que le nouveau film vienne effacer la mémoire de l’original. « C’est si facile de choisir du neuf. »
Porter la tuque
Rock Demers vendait la semaine dernière Les Productions La Fête au réalisateur Dominic James. Un pan de notre mémoire cinématographique jeunes publics se décline au passé, à l’heure où le producteur barbu, bouillant et passionné tire sa révérence, même s’il mettra l’épaule à la roue dans la transition. Alors, on se souvient. Lui aussi, au bout du fil :
« Pour faire La guerre des tuques,auquel personne ne croyait, j’avais mis en garantie à la banque toutes mes possessions et celles de mon épouse », rappelle-t-il.
À l’époque, Rock Demers sautait dans le vide à l’instinct avec d’autres. « C’était le premier film que je produisais, le premier long métrage en 35 mm d’André Melançon, le premier scénario de long métrage de Danyèle Patenaude et Roger Cantin, et comme on n’avait pas les moyens de payer les cachets de l’Union des artistes, tous les comédiens étaient des non professionnels. » Personne ne connaissait rien là-dedans ou presque. Appelons ça un état de grâce.
La tête de Maripierre n’a pas vraiment changé en 30 ans. Quand la télé diffuse La guerre des tuques dans le temps des Fêtes, des passants reconnaissent en elle la petite de dix ans qui jouait Sophie. « Le film a eu une grande influence sur ma vie et mes choix de carrière, dit-elle. J’ai étudié en communications, travaillé en cinéma. »
Maripierre est fière d’avoir incarné un des premiers rôles féminins forts à l’écran québécois, à une époque où les stéréotypes étaient encore plus marqués qu’aujourd’hui. « Il y a tellement de petites filles qui avaient besoin de s’identifier à Sophie et que mon personnage a aidées… »
Cédric, devenu professeur, n’en revient pas que ses étudiants de 20, 22 ans, d’une cuvée à l’autre, connaissent les répliques du film par coeur et finissent par le repérer. Lui aussi s’est investi dans l’après-vie de l’oeuvre culte. De vrais ambassadeurs !
« Ça fait trente ans que je porte La guerre des tuques, évoque de son côté Maripierre. Je suis même allée au Banquier l’an dernier ouvrir une valise lors d’un hommage aux Contes pour tous. » Pas une mission, mais presque, un tel service après-vente au fil des ans. Assez pour se sentir encore irritée contre une pub de cellulaire Vidéotron, qui reprenait avec d’autres interprètes leur scène du baiser, sans les en avoir avisés.
Entre fierté et mélancolie, Maripierre et Cédric estiment dommage que personne n’ait appelé les interprètes du premier film pour les impliquer un brin dans le lancement de La guerre des tuques 3D. Un simple courriel collectif d’invitation à la première du film, c’est peu. Comme une course à relais manquée.
La roue a tourné.