Où sont les femmes?
Notre radio est-elle sexiste ? J’ai imaginé une version du test de Bechdel pour trouver la réponse. Dans le test traditionnel, conçu par une féministe pour juger le cinéma, il faut se demander si 1) le film montre au moins deux femmes, 2) qui se parlent entre elles 3) d’autre chose que d’un homme. Le résultat est affligeant : moins des deux tiers des longs métrages recensés par bechdeltest.com remplissent les trois conditions.
Il y aurait plusieurs manières de transposer ce contrôle simplissime. Voici donc la mienne. Dans mon test de Bechdel pour la radio, l’évaluation égalitaire d’une émission demande 1) si au moins deux femmes interviennent au micro, 2) si elles se parlent entre elles et 3) de sujets non stéréotypés (beauté, enfants, déco, etc.).
J’applique le contrôle depuis plusieurs jours. J’ai encore fait l’exercice systématiquement vendredi avec l’émission Gravel le matin du 95,1 FM à Montréal. J’ai été scotché au poste de 6 h 30 à 9 h.
Et alors ? L’émission échoue lamentablement.
En fait, la première condition est remplie : plus de deux femmes interviennent au micro. Elles sont cinq collaboratrices sur les seize intervenants réguliers de l’émission. Isabelle Ménard parle culture et Véronique Mayrand couvre la météo. Ce sont les deux seules régulières présentes plusieurs fois par jour. Les trois autres n’y viennent qu’une fois par semaine. Sylvie Bernier cause « mieux-être », Marie-Joëlle Parent traite de la « vie américaine » et Chantal Hébert est évidemment chroniqueuse politique.
L’émission ne passe pas le reste du test, enfin pas totalement. Vendredi, deux femmes ont failli échanger trois ou quatre mots à la toute fin, vers 8 h 55, quand la journaliste collaboratrice à la culture Isabelle Ménard a enchaîné au micro après la chronique de Sylvie Bernier portant sur les transports et la santé…
Culture, temps et bien-être
Il n’y a pas que la quantité. Chacune de ces pros fait très bien ce qu’elle doit faire. Le problème, c’est justement ce qu’on leur demande, les secteurs où on les cantonne, en gros. Les voix féminines sous-représentées se concentrent dans des domaines bien marqués : la culture, la température et le « bien-être ». Ce qui fait aussi qu’en gros, sauf en politique et sur les affaires de New York, où réside Mme Parent, tous les autres secteurs du monde sont couverts par des hommes, la vie urbaine comme le monde municipal, le sport comme les nouvelles régionales, la circulation comme l’économie.
J’entends déjà la critique soulignant que l’équipe technique studio reste majoritairement féminine. D’accord, mais je parle de la présence au micro, du problème de la trop faible diversité des voix. Cette absence ou cette sous-représentation des femmes dans les émissions radiophoniques d’affaires publiques et d’information ne fait pas que les priver d’un micro pour parler du monde de leur perspective. Il empêche aussi les auditeurs de bénéficier de cet enrichissement et de la diversité des points de vue.
Et bien sûr, bien sûr, tout ce qui se dit des femmes peut se répéter encore plus fortement à propos de plusieurs minorités. Cette radio censée couvrir la grande région métropolitaine cosmopolite et multigénérationnelle semble plutôt monopolisée par des mâles « souchiens » d’un certain âge.
Le problème ne se concentre pas à Radio-Canada. Tout ce que j’observe de Gravel le matin peut se répéter à propos de Puisqu’il faut se lever du 98,5 FM, grande championne des ondes montréalaises avec le tiers des parts de marché. Autour de Paul Arcand aussi, les ondes matinales appartiennent en grande part aux hommes, présents à presque tous les postes (10 sur 14), comme chef d’antenne, évidemment, et comme collaborateurs.
Montréal maintenant, l’émission du retour à la maison de la chaîne privée pilotée par Paul Houde, fait encore pire avec une seule femme pour dix hommes au micro. Et bien évidemment, cette collaboratrice, Thérèse Parisien, parle culture et divertissement.
La mononc’isation
Le contenu et le ton comptent aussi. J’ai déjà parlé de « madamisation » des ondes pour décrire et dénigrer la surabondance de perspectives de « madames » bourgeoises dans certaines émissions de la télé et de la radio. Voici donc maintenant son contrepoids, la « mononc’isation » des ondes selon une jeune journaliste féministe qui a passé ce commentaire assassin sur sa page Facebook :
« Ça fait des semaines et des semaines que je me mords les lèvres (Pourquoi ? Je me le demande, peut-être la volonté de laisser la chance au coureur), mais là, les commentaires d’Alain Gravel sur les Soeurs Boulay, c’est la goutte de trop. "Musique pour les filles", "Ça prend un chat qui ronronne et un feu de foyer pour écouter ça", "Moé, j’aime mieux Plume Latraverse"… TANNÉE de subir ses commentaires de bonhomme dépassé, ses jugements à l’emporte-pièce teintés de sexisme et d’âgisme qui s’ignore (et, accessoirement, son "humour" qui tombe à plat). N’en déplaise a mon ami Mathieu, c’est bel et bien un #mononc. »