Une autre occasion ratée

C’est l’un des problèmes les plus importants avec lesquels nous serons aux prises. Peut-être le plus important de tous. Il faudra bien qu’on en parle sérieusement un jour au Canada.
 

Ouf ! On arrive au terme des 78 jours de la plus longue campagne électorale fédérale de l’histoire canadienne. Tout a commencé en plein coeur de l’été et nous voilà au milieu de l’automne après toutes sortes de hauts et de bas pour les partis politiques en lice et les électeurs. Comme chaque fois, c’est le moment d’essayer de mettre de l’ordre dans tout ce qu’on a vu et entendu afin de se faire une opinion personnelle et peut-être se risquer au jeu des prédictions. C’est l’occasion aussi de revenir sur la liste de tout ce qu’on n’a PAS vu NI entendu, aux premiers rangs desquels il faudra bien malheureusement, encore une fois, largement placer la question de la lutte contre les changements climatiques.

La gravité et l’urgence de la crise ont pourtant été exposées et expliquées des milliers fois et de mille manières. Encore cette semaine, de nouvelles études scientifiques ont entre autres rapporté qu’au rythme où vont les choses, des villes comme Miami et La Nouvelle-Orléans seront englouties par la montée des eaux, que le réchauffement des océans est en voie d’amener un effondrement des espèces marines et menace par le fait même toute la chaîne alimentaire, ou encore que les sécheresses, les famines et les inondations provoquées par les changements climatiques pourraient être des facteurs majeurs dans le déclenchement de conflits civils et militaires pour les générations à venir.

Plus près de nous, le Fonds monétaire international a dévoilé une étude estimant les coûts infligés par les carburants fossiles au Canada à 60 milliards pour cette année seulement, dont plus du tiers (22 milliards) lié directement aux impacts des changements climatiques.

Grosse commande

 

On peut présenter la chose autrement. Le Canada s’était engagé, en vertu de l’accord de Kyoto, à ramener le niveau de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’un total de 613 mégatonnes (MT) en 1990 à 490 MT en 2020. On sait que le pays a ensuite fait faux bond à la communauté internationale et qu’il a plusieurs fois déçu par la suite, y compris ce printemps en se fixant désormais pour cible un total de 524 MT d’ici 2030.

Mais même insuffisante, cette cible ne sera pas facile à atteindre, surtout pour un pays qui a tellement de mal à respecter ses engagements en la matière. Le niveau de ses émissions n’a pas cessé d’augmenter depuis la reprise économique et atteint désormais 726 MT, soit au moins 202 MT à perdre d’ici 15 ans.

Même si le Canada effaçait de la carte l’ensemble de son secteur pétrolier et gazier du pays, qui représente 179 MT, il n’y arriverait pas. D’importants efforts devraient aussi être déployés dans les autres secteurs de l’économie, à commencer bien sûr par le transport (170 MT), mais aussi ceux des bâtiments (86 MT), de la production d’électricité (85 MT), les autres industries énergivores (76 MT) — comme les mines, les cimenteries et les industries manufacturières — ou l’agriculture (75 MT).

Concrètement, cela signifie qu’à moins d’inventer de nouveaux procédés de production de pétrole ou de captation des GES, l’industrie des sables bitumineux devra se résoudre à freiner, voire à réduire ses activités. Cela veut dire aussi que les Canadiens devront, entre autres, revoir en profondeur leur façon de se déplacer, soit en adoptant massivement les transports en commun, en abandonnant leurs véhicules à l’essence pour des voitures électriques ou en renonçant à s’installer toujours plus loin en banlieue, ou un peu tout cela à la fois. En fait, on parle de changements importants pour tout le monde.

Pour y arriver, les pouvoirs publics devront utiliser non pas quelques-uns, mais l’ensemble de leurs outils disponibles, c’est-à-dire à la fois la carotte (nouvelles dépenses en infrastructures, subventions à la recherche, incitatifs fiscaux…) et le bâton (réglementation, prix du carbone, etc.).

Vous avez dit économie ?

On comprend mal dans ce contexte que nos politiciens en campagne n’ont pas ressenti le besoin pressant d’expliquer aux électeurs leurs objectifs et leurs stratégies en la matière. L’enjeu principal des élections était l’économie ? Mais toutes ces questions d’impacts des changements climatiques et de réduction des GES touchent directement à l’économie ! Elles l’influenceront bien plus au cours des prochaines décennies que le fait d’enlever ou d’ajouter quelques points de pourcentage à l’impôt des compagnies ou quelques milliards de déficits budgétaires à Ottawa.

Au moment où les Canadiens iront voter lundi s’ouvrira à Bonn l’ultime semaine de négociations avant la conférence sur le climat en décembre à Paris. Les représentants de 195 pays essayeront d’y convenir d’une entente de réduction des GES la plus ambitieuse possible afin de garder le réchauffement de la planète sous la barre fatidique des 2 °C.

Les journaux du monde entier rappelaient vendredi qu’on reste encore à court de la cible en dépit des avancées de certains pays comme la Chine. Ils citaient aussi les noms de quelques « cancres », dont la Russie, le Japon, les pays du golfe Persique… et le Canada.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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