Les dindons de la farce
La campagne électorale est peut-être trop longue, mais on ne peut pas dire qu’elle manque de rebondissements. Qui aurait cru que les conservateurs trouveraient le moyen de se transformer en défenseurs de l’environnement ?
Le ministre québécois de l’Environnement, David Heurtel, avait l’air du dindon de la farce quand le gouvernement Harper a ordonné à la Ville de Montréal de suspendre au moins temporairement le déversement de 8 milliards de litres d’eaux usées dans le Saint-Laurent.
Bombardé de questions à l’Assemblée nationale, M. Heurtel a beau répéter ad nauseam que son ministère a examiné le dossier sous tous ses angles pendant 18 mois et qu’il en est arrivé à la conclusion que le déversement était la seule option possible dans les circonstances, il est devenu un maillon faible depuis qu’un juge de la Cour supérieure l’a sévèrement blâmé pour avoir autorisé TransCanada à effectuer des forages au large de Cacouna, sans égard aux risques que cela représentait pour la reproduction des bélugas.
Encore une fois, le premier ministre Couillard a senti le besoin de lui réitérer sa confiance, ce qui devrait commencer à inquiéter sérieusement le principal intéressé. Un homme qu’on soutient est un homme qui tombe, disait Talleyrand. La chute pourrait bien survenir lors du prochain remaniement ministériel.
Aussi bien le PQ que la CAQ se sont délectés de cette « gifle » assénée par Ottawa, qui démontrait bien que le ministre avait encore mal fait ses devoirs. Curieusement, ni l’un ni l’autre ne se sont formalisés de voir le fédéral faire la leçon au Québec. Le PQ ne pourrait pas tolérer que l’Office national de l’énergie autorise la construction du pipeline de TransCanada, mais Ottawa est le bienvenu pour nous enseigner les bonnes manières environnementales. Il faut croire que deux ordres de gouvernement valent parfois mieux qu’un.
Le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a tout de même rappelé que Toronto effectuait régulièrement de tels déversements dans le lac Ontario et que personne à Ottawa ne s’en formalisait. Ce qui n’a pas empêché son parti de réclamer un moratoire sur celui qui est projeté à Montréal.
On peut très bien comprendre le dépit du maire de Montréal, qui fait lui aussi figure de dindon. Il est vrai que le gouvernement Harper n’a aucune crédibilité en matière d’environnement, mais l’entendre dénoncer la petite politique du Parti conservateur était assez divertissant. Bien sûr, il s’agit d’une manoeuvre électorale grossière, mais la bête politique qu’est M. Coderre aurait sans doute agi de la même façon s’il avait été dans la même situation.
Les conservateurs ont tellement menti au fil des ans qu’on se demande par quel prodige ils se mettraient soudainement à dire la vérité. M. Coderre soutient qu’Ottawa avait été saisi du dossier il y a plus d’un an, mais la ministre fédérale de l’Environnement, Leona Aglukkaq, prétend qu’elle a été informée seulement la semaine dernière des intentions de Montréal, qu’elle juge préoccupantes. Et voilà que, sans même avoir examiné le dossier, le premier ministre Harper demande déjà à la Ville d’envisager une autre solution.
Tom Mulcair, qui ne sait plus à quel saint se vouer pour stopper la dégringolade de son parti, assure qu’un gouvernement néodémocrate refuserait d’autoriser un tel déversement. Ses anciens collègues dans le gouvernement Charest ont cependant témoigné de la grande variabilité de ses principes dans le dossier de la privatisation du Mont-Orford. Combien de milliards de litres d’eaux usées au juste se sont retrouvés dans le Saint-Laurent à l’époque où il était ministre de l’Environnement ?
Les premiers à faire les frais de cette triste farce sont cependant les résidants de Montréal et ceux qui habitent le long du fleuve en aval de la métropole, qui peuvent légitimement se demander qui dit vrai et surtout dans quelle mesure il existe un risque pour leur environnement, sinon pour leur santé. Les protagonistes de cette foire d’empoigne souffrent d’un sérieux déficit de crédibilité.
Tout le monde accepte que la politique comporte une part de stratégie, particulièrement en campagne électorale, mais il y a des moments où l’impression que les intérêts partisans l’emportent sur ceux de la population devient franchement exaspérante.
Le « lapsus » qu’aurait commis David Heurtel, qui a déclaré à trois reprises que l’approvisionnement en eau potable pourrait être compromis si le déversement n’est pas effectué, alors que le rapport de son ministère n’affirme rien de tel, a de quoi laisser perplexe. S’il s’agissait d’une erreur à répétition, cela ressemble dangereusement à de l’incompétence. S’il s’agissait plutôt de dramatiser pour justifier une décision, ce serait carrément de l’irresponsabilité.
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