Oiseau de malheur

Pas facile, le travail d’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI). Maurice Obstfeld livre ses premières perspectives économiques mondiales sur fond d’air de déjà-vu.
 

Son prédécesseur, Olivier Blanchard, est entré en fonction en 2008, deux semaines avant cette faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers annonciatrice d’une crise financière ayant conduit à la Grande Récession. L’Américain Maurice Obstfeld prend officiellement le siège d’économiste en chef du Fonds monétaire international avec, sur le radar, l’imminence d’une crise de la dette dans les pays émergents précédant une récession mondiale « made in China ».

La récession mondiale apparaît parmi les risques, mais non dans le scénario officiel du FMI. Ainsi, l’institution de Washington révise le tout à la baisse. Le PIB réel mondial a progressé de 3,4 % l’an dernier, mais n’augmentera que de 3,1 % cette année, pour rebondir à 3,6 % en 2016.

On gravite ainsi autour du 3 % considéré comme étant le PIB potentiel en deçà duquel on entre en territoire de « croissance récessive » à l’échelle planétaire. Chez Citigroup, notamment, on a accolé une probabilité de 40 % à une progression du PIB mondial tombant à 2 % ou moins, plombé par le sévère ralentissement d’une économie chinoise en transformation.

Selon la définition d’un FMI retenant le PIB par habitant, seul un taux de croissance plus faible de la population mondiale permet d’éviter l’avènement d’une cinquième récession planétaire depuis la Seconde Guerre.

L’économiste en chef craint davantage « une baisse rapide des primes de risque sur les obligations, qui entraînerait une envolée des taux d’intérêt à long terme. […] Nous avons déjà observé cette hausse pour certains pays émergents et pays en développement, en particulier des pays exportateurs de produits de base ». Il ajoute : « Les dépréciations monétaires […] pourraient peser sur les bilans en cas d’emprunt en monnaies étrangères. »

Normalisation monétaire

 

Dit plus simplement, on peut rappeler que les pays émergents ont payé le prix de la fin de l’assouplissement monétaire quantitatif pratiqué par la Réserve fédérale et de la hausse annoncée du taux d’intérêt directeur. Un texte du quotidien Le Monde reprend les données du Financial Times indiquant que, entre juin 2014 et juillet 2015, les sorties de capitaux de ces pays se sont élevées, hors emprunts bancaires, à 1000 milliards $US. Jadis championnes de la croissance, ces économies doivent aujourd’hui conjuguer avec un plongeon de leur devise par rapport au dollar américain.

Ces pays se heurtent à la fois à leur propre réalité socio-économique et à la chute du cours des matières premières, qui affiche une baisse moyenne de 20 % depuis le début de l’année. Aussi, au FMI, on estime que la dette des entreprises non financières dans les principaux pays émergents a été multipliée par 4,5 en dix ans, passant de 4000 milliards $US en 2004 à plus de 18 000 milliards en 2014.

Dans sa dernière édition du Rapport sur la stabilité financière dans le monde, le FMI dit redouter que la normalisation monétaire que doit enclencher la Réserve fédérale puisse provoquer « un bouleversement des marchés mondiaux des actifs et un assèchement soudain des liquidités dans beaucoup de catégories d’actif ». Un scénario à la Lehman Brothers !

Reprise calée

 

Toujours selon une telle éventualité, « le durcissement considérable des conditions financières ferait caler la reprise cyclique. […] La faible croissance nominale plomberait les bilans souverains et privés surendettés, ce qui aggraverait les risques de crédit. Les pays émergents seraient exposés à une hausse des primes de risque à l’échelle mondiale et à des sorties de capitaux considérables. […] Les taux de faillites augmenteraient, en particulier en Chine, ce qui attiserait les tensions au sein du système financier. […] Cet enchaînement de circonstances mènerait à la réapparition de risques pour les bilans souverains […] et donnerait naissance à des interactions négatives entre les risques des entreprises et les risques souverains dans les pays émergents », poursuit le rapport.

Au final, la production mondiale pourrait se retrouver 2,4 % en dessous du niveau de référence à l’horizon 2017. Les termes « croissance récessive » et « récession mondiale », selon la définition du FMI, se rejoindraient alors. Un scénario à la 2009 !

Deux économistes en chef plus tard…

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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