L’arme commerciale

Le chef conservateur Stephen Harper n’a pas choisi le moment de la conclusion de l’important accord commercial du Partenariat transpacifique (PTP), mais il jubilait lundi. Son équipe et lui espéraient cette entente avant la fin de la campagne électorale, persuadés qu’elle leur permettrait de muscler encore plus leur image de meilleurs timoniers de l’économie canadienne.

Étant le seul à en connaître les détails, M. Harper a évidemment l’avantage sur ses adversaires. À chacune de leurs objections, il peut affirmer qu’ils ont tout faux sans que personne puisse vérifier qui dit vrai. Mais il y a un revers au secret.

En temps normal, M. Harper aurait pu inviter les gens à faire preuve de patience, d’attendre les textes qui viendront sous peu avant de se prononcer. Il reste cependant moins de deux semaines à cette campagne électorale. Les autres chefs ne peuvent rester silencieux sur un accord de cette importance. Tout le monde veut savoir ce que fera le prochain gouvernement.

Les chefs qui aspirent à remplacer M. Harper ont deux choix dans les circonstances. Ils peuvent exploiter les zones d’ombre pour jeter le doute sur les intentions conservatrices et ainsi rallier derrière eux ceux qui craignent les effets d’un tel accord. Ils peuvent aussi approuver le principe de l’entente, mais déplorer le processus qui a conduit à sa conclusion et invoquer le manque de détails pour éviter de se mouiller sur l’aide offerte à certains secteurs. Ce sont les deux postures qu’ont prises MM. Mulcair et Trudeau.

 

Déterminé à faire mentir les sondages et à rassurer ceux qui le trouvent trop modéré et centriste, le chef néodémocrate Thomas Mulcair s’est jeté corps et âme dans cette nouvelle bataille. Pas question, a-t-il répété, de se sentir lié par cette entente qui fait une nouvelle brèche dans le système de la gestion de l’offre, au détriment surtout des producteurs laitiers, et qui met en péril des emplois dans les petites et moyennes entreprises de fabrication de pièces automobiles.

Et pour ceux qui n’avaient pas compris, il a dit mardi ; « Nous nous opposons à cet accord. Nous sommes très clairs à ce sujet. Nous pensons que cet accord est mauvais », le comparant à un cheval de Troie pour miner la gestion de l’offre.

Il a même élargi sa palette d’attaques en soutenant que le prix des médicaments génériques pourrait augmenter à cause des dispositions sur la propriété intellectuelle. Personne n’ayant le texte en main, on ne peut vérifier le fondement de ses craintes, mais entre-temps, il met des citoyens en alerte.

Le chef libéral Justin Trudeau, qui est pour le libre-échange et favorable à cet accord du PTP, ne pouvait quand même pas se permettre d’avoir l’air d’être au diapason de Stephen Harper à 12 jours du scrutin. Cela aurait été lui concéder une trop grande victoire. Il a trouvé ses cibles : le manque de transparence de M. Harper et l’absence de consultation des Canadiens. Il invoque aussi le manque de détails pour ne pas se prononcer sur l’aide offerte aux producteurs de lait et au secteur automobile.

Mais quand on lui a demandé mardi comment il aurait pu être plus transparent que M. Harper, de telles négociations étant souvent entourées de secret, il ne savait que dire. « Quand un gouvernement démontrera avec constance qu’il dit la vérité, contrairement au gouvernement actuel, les Canadiens le croiront plus volontiers quand il dira qu’il défend les intérêts des agriculteurs et du secteur automobile lors des négociations », a-t-il répondu. En somme, on le croirait, lui.

 

C’est quand même M. Harper qui joue gros dans ce dossier. M. Mulcair, c’est vrai, peut effaroucher des travailleurs et employeurs qui misent sur cette entente pour assurer leur avenir, mais pour la plupart des électeurs, ces accords sont trop éloignés de leurs préoccupations quotidiennes pour influencer leur vote.

Par contre, ceux qui s’en soucient sont généralement ceux qui craignent pour leur gagne-pain et, dans bien des cas, votent en conséquence. Cela pourrait nuire aux conservateurs dans certaines régions, dont celles plus rurales du Québec.

M. Harper a tenté de se prémunir contre les critiques les plus évidentes avec ses promesses d’aide financière pour les producteurs de lait et l’industrie automobile, mais d’autres volets moins connus de l’accord peuvent lui réserver des surprises. Les mêmes en fait qui retardent la rédaction du texte final de l’accord avec l’Union européenne conclu il y a un an. On pense entre autres au mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États.

On retrouve aussi dans le PTP des chapitres sur le commerce électronique, les marchés publics, les entreprises d’État, l’environnement, le travail. Dans tous ces dossiers, quelques détails peuvent trancher entre le pire et le meilleur.

Le PTP est un accord commercial de nouvelle génération de portée très vaste. Le débat qu’il devrait provoquer dépasse largement celui entourant la gestion de l’offre et le secteur automobile. Mais à 12 jours des élections, on peut douter qu’il ait lieu. Ce qui peut bien servir M. Harper, mais aussi lui nuire si, devant le manque d’information, la méfiance l’emporte.

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