TDAH: l’hypothèse sociale

Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) continue de susciter le débat. C’est une bonne chose. Le sujet est important et soulève des enjeux éducatifs, médicaux, sociaux et éthiques de premier plan. Récemment, le psychiatre et psychanalyste français Patrick Landman a relancé la discussion en publiant Tous hyperactifs ? (Albin Michel, 2015), un essai dans lequel il qualifie le TDAH de « fiction ».
Ce mois-ci, au Québec, le philosophe et socio-économiste J.-Claude St-Onge, spécialisé dans la critique de l’industrie pharmaceutique, prend la balle au bond en corroborant la thèse de Landman dans TDAH ? Pour en finir avec le dopage des enfants. « Jusqu’à preuve du contraire, écrit-il, le TDAH est une construction sociale. »
St-Onge, comme Landman avant lui, ne nie pas que l’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité existent et affectent des enfants. Il conteste toutefois l’idée selon laquelle les causes de ces comportements se trouveraient dans une pathologie du cerveau. Les enfants qui ont ces problèmes ont besoin d’aide, reconnaît le philosophe, « mais pour que l’aide soit appropriée, il faut cibler adéquatement la source du problème ».
Une thèse fragile
La thèse biopsychiatrique, la plus répandue dans les rangs médicaux et dans la population, affirme que les causes du TDAH sont de nature biologique. Ce trouble serait donc essentiellement génétique, la plupart du temps héréditaire, causé par un dysfonctionnement de certains neurotransmetteurs et, par conséquent, traitable par des médicaments psychostimulants (le Ritalin, par exemple).
Les tenants de cette explication tolèrent mal la contestation et « dépeignent ceux qui refusent de considérer que le TDAH est une maladie mentale comme des obscurantistes, du même calibre que ceux qui considèrent que la Terre est plate », note St-Onge. Pourtant, les assises de cette thèse biopsychiatrique sont fragiles et appellent, au nom même de la science, une discussion plus ouverte.
St-Onge rappelle d’abord qu’il « n’existe aucune mesure ou aucun test objectif pour identifier un TDAH ». La piste génétique, pour le moment, n’est pas concluante, et celle du déséquilibre chimique demeure au stade de l’hypothèse. Certains affirment que le fait que la prise de psychostimulants réduise les symptômes liés au TDAH (ce que contestent des études citées par St-Onge) prouve la validité de cette dernière hypothèse. Or, réplique le philosophe, « ce n’est pas parce qu’un médicament améliore le comportement que cela nous procure la connaissance de la ou des causes ». L’alcool, par exemple, aide bien des gens à combattre la timidité, mais cette dernière n’est pas causée par le manque d’alcool au cerveau.
D’autres données imposent de réfléchir plus avant : les plus jeunes enfants d’un niveau scolaire (nés juste avant la date d’admission) reçoivent plus souvent que les autres un diagnostic de TDAH, les enfants des quartiers pauvres sont plus à risque, de même que les enfants dont les parents sont séparés.
« Et si la source du problème, demande St-Onge, se trouvait plutôt dans les dysfonctionnements sociaux, économiques, scolaires ? » N’est-il pas normal qu’un enfant qui a faim ou qui est troublé par la discorde qui règne entre ses parents soit inattentif ? Doit-on parler, alors, d’un problème médical ou d’un problème social ?
Déculpabilisation
La thèse biopsychiatrique, évidemment, fait l’affaire de bien du monde. L’industrie pharmaceutique, qui n’épargne pas ses peines pour la faire mousser, y gagne des milliards. Les médecins, talonnés par la précédente et formés à chercher des causes organiques aux problèmes qu’on leur soumet, y trouvent une solution à leur mesure. Nulle malveillance, ici, mais déformation professionnelle. Les écoles, aux prises avec des budgets restreints, y trouvent une façon d’obtenir un peu de financement supplémentaire.
Les parents, enfin, naturellement ébranlés par les difficultés, scolaires ou autres, de leurs enfants, y trouvent une manière de se déculpabiliser. Nulle malveillance, ici, encore une fois — presque tous les parents veulent bien faire —, mais refus, souvent, de mettre en cause le contexte familial et social. Ainsi, le « pas de notre faute, c’est le cerveau » tient lieu de refuge à presque tout le monde.
St-Onge n’exclut pas la découverte, dans l’avenir, de causes organiques dans certains cas graves d’inattention ou d’hyperactivité. Pour le moment, toutefois, étant donné la fragilité de la thèse biopsychiatrique et un calcul coûts/bénéfices qu’il considère comme désavantageux quant à la prise de psychostimulants, le philosophe propose plutôt de recentrer l’attention sur les conditions sociales, « principaux déterminants de la santé », bien avant la biologie et les gènes.
Il ne s’agit pas, insiste-t-il, de culpabiliser qui que ce soit, sauf l’industrie pharmaceutique, mais d’accepter de considérer l’hypothèse sociale comme la plus pertinente dans la problématique du TDAH. Il prône donc, en ce sens, de limiter l’utilisation des psychostimulants à quelques cas graves et d’explorer, pour le reste, les interventions de type comportemental, la formation des parents, les heures de sommeil, le jeu à l’extérieur et des stratégies d’enseignement imaginatives. « La vraie prévention, souligne-t-il en terminant, consiste à sortir les gens de la pauvreté, de l’ignorance, des conditions de travail nuisibles, des environnements toxiques tant sur le plan écologique que social. »
Ironiquement, aux États-Unis, la boîte de Ritalin affiche l’avertissement suivant : « Garder hors de portée des enfants. » St-Onge, dans cet essai très solidement documenté, explique pourquoi ce serait une bonne idée de vraiment respecter cette mise en garde.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.
L’inattention, l’impulsivité et l’hyperactivité sont des réalités. Mais, après ce tour d’horizon, il n’existe pas de preuves que le TDAH existe tel qu’il est traditionnellement défini ; c’est au mieux une hypothèse. S’il existe, c’est un phénomène rare dont les causes n’ont pas été établies