La misère de la classe moyenne

Météo estivale moyenne, ville moyenne, cinéma moyen et mari d’exception. Magog, un vendredi soir, je suggère Le mirage à mes risques et périls, sachant que Ricardo Trogi et Louis Morissette brassent la cellule orageuse du couple et que nous n’en ressortirons peut-être pas indemnes. Je hais les crises de couple. Mais il paraît qu’en les traversant on devient plus fort. La loi de Nietzsche : ce qui ne nous tue pas…
Un mois plus tard, nous parlons encore de ce film… de gars. Nous ne sommes pas les seuls, d’après ce que j’ai pu glaner cette semaine. On en jasait même chez Gravel à la Première chaîne, lundi matin, avec un ludisme un peu forcé. C’était deux minutes avant que je ne me retrouve devant Trogi lui-même dans une cour d’école animée, version papa cool et impliqué. La rentrée. Je n’ai pas osé lui parler de détresse masculine et de masturbation. Cela aurait quelque peu terni la magie du moment devant les enfants.
Le mirage a mis le doigt dans le décolleté boosté de la classe moyenne. Il appuie lourdement sur une problématique qui dépasse de loin le couple géniteur et la sexualité insipide qu’il présente. Il radiographie notre société du confort et de l’indifférence, surstimulée mais vide de valeurs et de sens, gavée aux bébelles, aux antidépresseurs et au Ritalin mais surendettée, coupée de ses envies profondes, mais menée par ses fantasmes superficiels, prise en étau dans le cercle vicieux du « paraître » et de la surenchère, utilisant la consommation et le sexe pour s’anesthésier et pallier le manque d’intimité avec soi et avec l’autre, amidonnée dans la performance et une esthétique plastique qui varie selon les époques. La mode est aux grosses boules (elle l’est souvent). Ça coûte combien ?
– Six mille dollars… Je ne pensais pas que c’était aussi cher, médite mon mari rêveur au creux du lit matrimonial après avoir discuté du film.
– Tu y penses pour toi ? Je peux t’aider si tu veux. Ton anniversaire et Noël s’en viennent… »
Si mon mari veut des seins, je suis prête à l’accompagner. Il ne sera pas dit que j’aurai été un éteignoir dans son feu de joie intérieur. J’aurais beau lui rappeler que même Angelina Jolie ne voulait plus des siens, à quoi bon. Un fantasme, c’est fort.
Le couple en récession
Il n’y a pas que le Canada qui se paye des récessions. Combien de couples en chute libre depuis plus de deux trimestres n’ont même plus de PIB et roulent sur les dettes en oubliant d’avoir du fun pour donner le change ? Concrètement, un Québécois sur deux fait partie de la classe moyenne et chaque ménage canadien possède une dette hypothécaire de 145 000 $, 15 000 $ sur sa marge de crédit, et 40 % ne paie pas le solde de sa carte de crédit chaque mois, selon les données de Statistique Canada et de la BMO.
La classe moyenne s’est enrichie depuis 30 ans, nous disent les économistes, mais elle s’est considérablement endettée, victime du keeping up with the Joneses, « on va en spoter aux voisins ».
L’État-providence nous abandonne de plus en plus, ne paie plus la garderie, désinvestit dans l’éducation et la santé, ne torche plus nos parents, ne fournit plus le psy ni la clinique de fertilité. La classe moyenne se tourne vers la banque, qui lui prête de l’argent qu’elle n’a pas non plus. Au fond, le fric n’existe pas. C’est un mirage. Un autre.
Le problème de la classe moyenne, c’est qu’elle a l’air riche avec sa piscine creusée « au sel », son jacuzzi au Javel, ses enfants au privé et sa BMW louée stationnée devant le garage pour qu’on la remarque (ou parce qu’il est rempli de patentes à gosse à l’obsolescence planifiée). Derrière le paravent social et la page Facebook, elle est en faillite et pauvre raide dès qu’on gratte le vernis des apparences et des sourires à 10 000 $.
Faux seins, fausses dents blanches, fausses rallonges de cheveux, faux ongles, faux bronzage, faux orgasmes, faux standing. Elle a tout faux en attendant le premier lifting et en crémant ses tatouages. Le vrai bonheur en arrache. En cela, Le mirage a tiré un formidable portrait-vérité de notre Québec contemporain saturé de promesses 36D.
Cela ressemble au mirage des femmes invisibles sur Ashley Madison. Trente-sept millions de gars se zieutent le zizi entre eux. Les filles de rêve virtuelles ne sont là que pour leur soutirer leur numéro de carte de crédit bien réel.
« Le problème des gars, me confie un ami marié — dont je tairai l’identité —, c’est qu’ils veulent que leur femme soit contente pour pouvoir faire l’amour. Point. Aussi simple que ça. Ils accumulent des brownie points en se disant " si je fais ça, elle va vouloir ". » Comme le dit Louis Morissette (alias Patrick) à la psy dans Le mirage : « 80 % des gars pensent comme ça. Inquiétez-vous du 20 % qui reste. »
Les systèmes de brownie points (vous obtenez des points pour chaque action jugée favorable de la part de votre conjointe) reposent sur une monnaie d’échange aussi fluctuante que la Bourse. Vous allez voir Le mirage avec votre blonde à sa demande (5 points) ; vous lui suggérez une chirurgie mammaire en sortant (- 50 points) ; vous offrez plutôt le champagne (+ 10 points) ; le serveur revient avec votre carte de crédit « refusée » (- 20 points). Vous avez compris le système. Et consciemment ou non, il existe ou il subsiste, c’est selon.
Derrière l’écran
Si le nouveau médicament Addyi, surnommé Viagra féminin, avait existé au moment où Morissette et Trogi ont fait leur film, pas de doute, leur héroïne/Germaine/conjointe en burn-out en aurait pris en plus de ses antidépresseurs. En sourdine, l’image qui m’a le plus intriguée durant tout le film, c’est le fond d’écran d’ordi de Patrick (Louis Morissette), cette vue sur l’horizon, ce champ d’automne aux couleurs fanées par le soleil.
On découvre à la fin du film que c’est là, dans cette image, que notre quadragénaire en crise retrouve son essence et court se réfugier, dans sa vieille roulotte avec son coton ouaté vintage, là qu’il troque son exerciseur de hamster dans le garage contre un jogging sur la route et qu’il épouse le sens d’un mot, un mot qui ne coûte rien, mais vaut cher et implique l’énorme courage de s’affranchir de tout : liberté.
En cela, la tragicomédie acide devient une fable céleste et philosophique qui nous incite à contempler nos fonds d’écran pour mieux voir ce que nous y déposons.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.
JoBlog

Je vous ai déjà parlé, lors de sa sortie en salle, de cet excellent documentaire sur les paradis fiscaux. Si vous avez un seul film à voir cette longue fin de semaine, c’est celui-ci, ou alors enregistrez-le. « Un flou juridique permet à des entreprises de s’enrichir en payant peu ou pas d’impôts, tandis que le poids de l’impôt se reporte sur la classe moyenne et les pauvres. Une tendance qui s’est accentuée avec l’avènement de l’Internet et qui menace la démocratie », résume le communiqué. Et la vingtaine d’intervenants dans le film Le prix à payer sont à peu près tous des anciens de la finance qui nous dévoilent des secrets bien gardés. Fascinant.
Il sera diffusé à Ici Radio-Canada télé dans le cadre d’une émission spéciale de 1001 vies, ce samedi 5 septembre à 19 h 30. Il sera précédé et suivi d’une émission animée par Gérald Fillion à 19 h et 21 h 30.
Tombée sur une publicité d’augmentation mammaire durant le TJ de 18 h à Radio-Canada cette semaine. J’en parle à mon mari, c’est pour lui. On se plaint souvent de la baisse de qualité des émissions. Mais que dire des pubs ?
Évité de parler d’Addyi, ce stimulateur de désir pour femmes non ménopausées, à mon médecin de famille. Elle m’aurait certainement suggéré un bon vibrateur ou un nouvel amant (ou l’inverse). Que ce médicament ait été approuvé malgré ses effets secondaires sérieux — chute de la tension artérielle, somnolence, syncope et danger accru avec la consommation d’alcool ou d’autres médicaments — et son peu d’efficacité (il fonctionne chez 10 % des femmes), est une aberration en soi. On peut bien dorer la pilule, mais il y a des limites à prendre nos cons pour des connes.
Les Canadiennes et les Canadiens de la classe moyenne doivent avoir de l’argent dans leurs poches pour épargner, investir et faire croître l’économie — il est temps de redonner à la classe moyenne pour renforcer le cœur de l’économie canadienne.
D’un côté, l’abîme béant du compromis. De l’autre, l’existence survoltée et répréhensible
de l’homme infidèle.
Comment ils font, les pauvres, pour arriver?