Liège bouchonne la Francophonie
J’ai beaucoup regretté de ne pas être au deuxième Forum mondial de la langue française, à Liège, la semaine dernière. Tout de même, j’ai pu attraper Michel Audet, délégué général du Québec à Bruxelles, en débarquant de l’avion à Montréal. Cet ancien commissaire général du premier forum du genre, Québec 2012, est la meilleure personne pour en faire le bilan.
« Québec 2012 faisait l’état des lieux de la francophonie, mais Liège 2015 se voulait différent, dit-il. Le commissaire général, Philippe Suinen, l’a explicitement réservé aux jeunes de 18 à 35 ans, et il ne voulait absolument pas y voir les habituels grands intellectuels et autres dirigeants d’ONG. Pas de grand-messes protocolaires ni de grandes leçons de morale. »
Toute la programmation de Liège 2015, qui réunissait 1200 jeunes de 90 pays, était structurée autour de 130 projets ou initiatives très variées. L’une des pièces maîtresses était une idée belge, le « HackXplor », inspiré de la formule des « hackathons ». Il s’agissait d’un marathon de programmation opposant 20 équipes qui avaient 42 heures pour développer une appli et la présenter au jury.
La formule des forums mondiaux de la langue française, inspirée des Congrès de la langue espagnole, se veut le contraire des Sommets de la Francophonie, qui sont de véritables festivals du protocole. « Le but est de susciter toutes les rencontres », dit Michel Audet. En fait, tout le Forum de Liège était une vaste foire d’idées, de projets et de produits. Je vous mets ça en touffe : des Congolais, avec leur robot régulateur de circulation routière ; des profs de français en Autriche venus présenter un jeu de société pour l’apprentissage du français ; des Malgaches avec un projet d’espace informatique reliant 24 bibliothèques de brousse ; des lycéens vietnamiens, avec une plateforme francophone pour produits touristiques ; des Camerounais, avec un projet de mise en marché des produits de l’agriculture paysanne ; des Argentins avec un projet de vidéoconférences pour classes de français langue étrangère. Entre autres !
Les bons coups du Québec
Le gouvernement du Québec a fait plusieurs bons coups à Liège. Grâce à LOJIQ (Les Offices jeunesse internationaux du Québec), la grosse délégation québécoise de 70 participants québécois était partout. Même la délégation japonaise, coqueluche des médias à Liège, était une initiative de la Délégation générale de Tokyo, en partenariat avec le bureau du premier ministre Abe et le conseil de promotion de la francophonie au Japon.
La cerise sur le gâteau : le premier prix du marathon de programmation a été remis à une équipe de quatre personnes réunies par la créatrice numérique québécoise Cynthia Naggar. Leur projet est une appli qui permettra aux gens d’associer lieu et musique. « Nous avions une excellente équipe. Zoé Fortier est une graphiste de Saskatchewan. Il y avait une ingénieure marocaine, et son compatriote, Nabil, avait même l’expérience d’un autre hackathon. »
Tania Longpré, enseignante en francisation des immigrants et blogueuse au Journal de Montréal, est une des critiques les plus vocales du Forum de Liège — elle faisait partie des 150 participants logés dans des locaux insalubres et qui ont dû être relogés. Mais elle croit que les organisateurs ont raté le bateau à vouloir trop faire dans l’originalité pour se démarquer de Québec 2012. « Il n’y avait aucune tentative de faire une réflexion d’ampleur sociale. Ça devrait être un incontournable. »
« Des problèmes, il y en a tout le temps », convient Michel Audet. « Nous, à Québec, nous avions de gros moyens, mais nous étions pris avec l’Anarchopanda et autres “carrés rouges” qui tentaient de récupérer l’événement pour passer leur message. »
Ayant moi-même été de l’organisation de Québec 2012, j’avais déploré l’absence de suivi post-Forum quant aux nombreuses initiatives suscitées. Même le site Web avait été fermé quelques semaines après l’événement. Pour Liège, il semblerait que l’OIF s’occupera des suites de ce forum, qui vise après tout à susciter la francophonie de demain. Les gagnants du HackXplor, par exemple, feront une tournée à la mi-septembre pour présenter leur appli à des investisseurs potentiels. « D’ici là, nous devons rendre le prototype fonctionnel », dit Cynthia Naggar. « Ça ne sera pas une mince tâche alors que nous serons tous rentrés dans nos pays. »
À quand le prochain Forum, et où ? Dès la fin de Québec 2012, le nom de Liège circulait déjà. Quant au pays hôte de l’édition 2018, rien ne filtre, mais l’OIF semble résolue à tenir un nouveau rendez-vous. Selon moi, le Maroc, pays le plus prospère de l’Afrique francophone, serait le choix le plus logique — si les Marocains s’organisent. « Cela fait deux fois qu’on le fait dans le Nord, dit Michel Audet. Ça devrait être le tour de l’Afrique. »