Allons, vignerons de la patrie, le jour de… (air connu)

Le Comité du patrimoine de l’UNESCO inscrivait le 4 juillet 2015 le vignoble de Bourgogne sur la Liste du patrimoine mondial. Ce qui n’aurait sans doute pas déplu à l’empereur Probus qui, dès l’an 281, levait la défense de planter de la vigne en permettant désormais la culture dans toute l’étendue des Gaules (1). L’influence de l’impulsion donnée par cet homme à l’agriculture allait du coup recouvrir les coteaux de vignes luxuriantes, rétablissant rapidement l’ancienne splendeur végétale, peut-on y lire plus loin.
Le bon docteur Lavallé (l’auteur était à la fois docteur en médecine et docteur en sciences naturelles) poursuit en citant un certain Eumène, qui, lors d’un éloquent discours adressé par celui-là à l’empereur Constantin, ne se doute pas encore qu’il pose là la première pierre de l’édifice patrimonial dont allait jouir la Bourgogne d’aujourd’hui. « C’est à regret qu’on ensemence le pagus Arebrignus [probablement les environs de Beaune], seule localité où se fasse sur une très petite échelle la culture de la vigne ; car au-delà on ne rencontre que des forêts et des rochers inaccessibles, où les bêtes sauvages ont une retraite assurée […]. »
Mais attention, on est encore loin, très loin par exemple d’une Romanée St-Vivant 1969 de la maison Leroy ou d’une Romanée-Conti 2005 de monsieur De Villaine. C’est du moins ce que laisse transparaître l’auteur lorsqu’il sous-tend ceci : « Toutefois, les anciens Gallo-Romains, abâtardis par une civilisation énervante, ni les Burgondes, imbus des idées germaniques à l’endroit du travail de la terre, n’étaient faits pour relever l’agriculture de son abaissement. Cette réhabilitation du travail manuel fut l’oeuvre des monastères qui, à la fin du Ve siècle, s’établirent en différents points de la Bourgogne ».
Moines et monastères, nous y voilà ! Les abbayes de Saint-Bénigme et de Bèze se verront octroyées tour à tour vers 587 et au commencement du VIIe siècle respectivement sous le roi Gontran de Bourgogne et Amalgaire, duc de la Basse-Bourgogne, un vaste territoire allant de Dijon à Pommard avec colons et autres vignerons (vinitores) chargés d’en développer la vigne. Apparaîtront ainsi, au fil des paroisses et villages, les vignobles d’Aloxe (696), de Fixey (733), de Santenay (858), de Chassagne (886), de Pommard (1005) ou encore de Meursault (1094) pour n’en nommer que les plus connus. Pour la petite anecdote, soulignons au passage que ces mêmes monastères, aux prises avec la richesse des donations, se voient alors rapidement gangrénés par une corruption (tiens, tiens…) qui en relâcha graduellement les règles. Autres temps, autres moeurs ?
Patrie et patrimoine
Le sens du mot « patrie », qui définit originellement « cette terre où sont enterrés les ancêtres », se prolonge dans cette notion de pays, province, région, ville, village, bourgade où l’on naît. Idée de lieu, d’appartenance, voire de reconnaissance historique où le mot « patrimoine » se voit défini, selon Larousse lui-même, comme « Ce qui est considéré comme l’héritage commun d’un groupe ». Les Burgondes, nos Bourguignons d’aujourd’hui, renforceront au fil des siècles cet héritage né d’observations sur le terrain mais aussi de pratiques commerciales qui ne cesseront de le valoriser.
C’est ce même vignoble, ce patchwork fait d’essais et d’erreurs, de travail et de sueur, que reconnaît désormais l’UNESCO, 10 jours seulement avant la fête nationale française. J’en connais qui auront cette semaine sifflé quelques fillettes entre quelques pièces bourguignonnes gorgées des meilleurs chardonnays, pinots noirs et autres aligotés pour souligner l’événement ! Mais que serait le vignoble sans ces femmes et ces hommes qui l’ont fait sortir de terre et fructifier si habilement ?
Bien évidemment en deçà des attentes de la célèbre organisation qui n’y verraient plus qu’une forêt de lianes folles entrelacées pour le meilleur mais surtout, pour le pire. En témoigne encore une fois le docteur Lavallée ainsi que son collègue le docteur Morelot lors d’observations sur l’abondance de la récolte et de la qualité des vins sur le territoire de la ville de Nuits sur une période allant de 1720 à 1830. Ce qu’on y constate ne ferait pas vivre son homme aujourd’hui. Ni faire ruer dans les brancards un Robert « Bob » Parker aujourd’hui (presque) réconcilié avec l’appellation. En effet, hormis les réussites des récoltes 1720, 1728, 1743, 1745, 1750, 1753, 1760, 1770, 1795, 1802, 1815 et 1819, force est de constater que le solde des 98 autres millésimes va de qualité très médiocre à faible ou à bien ordinaire.
Vigneron inspiré, produit inspirant
De trois choses l’une : ou bien les vignerons d’alors ne savaient pas faire du vin ou bien Dame Nature ne voulait rien savoir de ces mêmes vignerons qui ne savaient pas faire de vin en les punissant ou, encore, pas de pot hélas ! pour ces bons docteurs tombés sur un siècle de statistiques particulièrement pourries. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse d’hier comme aujourd’hui, un « bon » terroir, — je parle d’une entité aussi organique que minérale qui se situe dans un contexte climatique précis — livrera toujours, bon an mal an sous la houlette d’un vigneron inspiré, un fruit susceptible de produire un produit pour le moins « inspirant ».
Ce sont cet homme, ce terroir et même ce « terroir dans le terroir » comme autant de poupées gigognes (on a qu’à penser par exemple aux nombreuses déclinaisons de cuvées d’un Clos Vougeot, d’un Chambolle-Musigny Les Amoureuses ou un Meursault Perrières pour saisir la folle gymnastique intellectuelle et sensuelle qu’elle procure !) que le Comité du patrimoine de l’UNESCO reconnaît aujourd’hui. De quoi faire battre des ailes de papillon sous le myocarde d’Aubert de Villaine qui, depuis de nombreuses années, a porté le dossier auprès des autorités concernées. Surtout, un pied de nez à cette globalisation du goût et à cette mondialisation des tendances qui lessivent le patrimoine. Allons, vignerons de la patrie, le jour des vendanges est arrivé… (air reconnu). Vive la France !
(1) Histoire et statistique de la vigne et des grands vins de la Côte d’Or, M. J. Lavallé, 1855