Applaudissez, braves gens
L’indéfinissable docteur Barrette a réussi son saut périlleux arrière. Bang ! Dans le mille. Enfin, pas tout à fait, mais il était si fier de lui qu’on peut bien l’applaudir. Le problème, c’est que les docteurs du Québec, grâce à lui, vont gagner encore plus d’argent… On leur fournit les malades en plus. À peu près 25 % de la population québécoise avant le 31 décembre 2017. De quoi se plaindraient-ils ?
Le docteur Barrette a commencé par présenter une loi longue et exigeante qu’il a défendue toutes griffes dehors pendant des semaines en feignant même de ne pas entendre les interventions raisonnables des oppositions qui, elles, se tapent l’étude article par article de la fameuse loi du ministre. Des heures et des heures de travail pendant lesquelles le ministre refuse tout changement à sa loi. Pendant ce temps-là, pour se distraire, il met de l’huile sur le feu en intervenant par-dessus la tête des responsables dans des problèmes internes d’un grand hôpital de Montréal. Rien ne l’arrête.
On dit que le docteur Barrette est un fin négociateur. Fin, je ne sais pas, mais négociateur, la preuve est là. Sauf qu’on est en droit de se demander pourquoi la fameuse « austérité » ne s’applique pas aux collègues docteurs.
Armé de son projet de loi 20, qu’il entend bien faire adopter dans les semaines qui viennent, il signe une entente avec les docteurs de famille. On se serre la main et le ministre explique que la loi 20 restera comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des médecins concernés s’ils ne tiennent pas leurs promesses. Tout ce remue-ménage pour une épée de Damoclès… Fallait y penser !
Qu’est-ce qui nous attend maintenant ? On se le demande. Deux ans et demi, c’est long. C’est à peu près sûr que les docteurs visés par l’entente ne seront pas tous fous de joie de la solution que vient de leur imposer le bureau du docteur Barrette. Allons-nous, nous les patients, devoir confier notre santé à des professionnels qui en ont gros sur le coeur et qui auront peut-être envie de nous rendre la monnaie de la pièce que le docteur Barrette vient de leur passer de force entre les dents ? Ça risque d’être parfois déplaisant. Voir un médecin de mauvaise humeur pour une consultation de 10 minutes, ça vous tente ? Pas moi.
J’ai, depuis toujours, la mauvaise habitude, quand je vois un médecin pour la première fois, de lui demander s’il était un premier de classe ou un dernier. Ils affichent tous leurs diplômes, mais ce détail ne paraît nulle part. Si les docteurs doivent passer plus de temps dans leurs bureaux, qu’est-ce que ça va changer pour les malades qui ne peuvent pas leur rendre visite ? Va-t-on changer les horaires de travail des CLSC qui ont la mauvaise habitude d’être fermés quand on a besoin d’eux ?
Comment vont réagir les médecins spécialistes qui risquent de se retrouver avec des heures supplémentaires à faire à l’hôpital puisque les médecins de famille seront à leurs bureaux ? On sait pourtant bien que les spécialistes ne passent toujours qu’en coup de vent dans les chambres des hôpitaux.
Va-t-on plutôt compter sur les infirmières pour faire tout le travail (comme c’est l’habitude) sans les traiter de façon civilisée et les payer raisonnablement pour la tâche élargie qu’on pourrait leur confier ? Le docteur Barrette va-t-il inventer une nouvelle méthode de négociation pour elles aussi ?
Et les pharmaciens ? Ils ont beau appeler au secours, je crois qu’on leur répond déjà qu’il n’y a pas d’abonné au numéro qu’ils ont composé. Le docteur Barrette en mène très large. Avec sa loi 20, nous sommes peut-être en train de sombrer dans un profond ridicule qu’il faudra encore des années à remettre en marche correctement. Avant qu’on sente les bienfaits d’une réforme dans ce domaine, le docteur Barrette aura pris sa retraite depuis longtemps.
Pendant ce temps-là, le plus gros hôpital anglophone du Québec, le CUSM, brille de tous ses feux. C’est une horreur quand on le voit de l’extérieur, mais l’intérieur est tout confort. Le transfert planifié des malades se continue. On y a déménagé des enfants malades dimanche dernier, sans aucun problème. Un enfant par chambre. Le grand et beau luxe. Les francophones sont encore aux prises avec des urgences qui débordent, des attentes qui rendent fous, une promiscuité difficile pour des personnes malades.
Les soins de santé, c’est comme une bouée de sauvetage. Il en faut une pour chaque personne qui en a besoin. Les docteurs sont bien meilleurs quand ils ont été gravement malades eux-mêmes au moins une fois dans leur vie. Quand ils vont à l’hôpital comme patients, on s’empresse de leur greffer un coeur, car c’est ce qui leur manque le plus. Heureusement, il y a parfois des exceptions… J’en connais quelques-uns. D’autres choisissent la profession pour l’argent qu’on y empoche.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.