L’argent ne fait pas (seul) le bonheur

L’argent ne fait pas le bonheur. Ou plutôt, il ne le fait pas seul. Les autres facteurs peuvent même être si importants qu’il arrive que l’un et les autres suivent des trajectoires opposées.
 

L’adage est vieux comme le monde, mais il intéresse un nombre grandissant d’experts et de gouvernements. Cela tient peut-être en partie au fait que de plus en plus d’outils de mesure et de données sont disponibles. Cela découle sans doute aussi de la nouvelle démonstration faite par les dérèglements climatiques, la montée des inégalités et le pitoyable effondrement des marchés financiers que la croissance du fameux produit intérieur brut (PIB) n’est pas une garantie de progrès de la qualité de vie.

Un groupe d’experts a dévoilé cette semaine une nouvelle version de leur Rapport sur le bonheur mondial, basé entre autres sur le niveau de satisfaction exprimé par les gens à l’égard de la vie. Comme toujours, les premiers rangs sont accaparés par les pays de l’Europe du Nord, auxquels se mêlent entre autres la Suisse mais aussi le Canada (au 5e rang), habitué d’arriver le premier parmi les pays du G7 dans ce type de classement.

Ce qui frappe, c’est que les meilleurs sont tous des pays riches, sans pour autant être les plus riches de tous en matière de PIB par habitant. Les États-Unis (au 15e rang) arrivent même, cette fois-ci, derrière le Costa Rica (12e), bien que ce dernier soit quatre fois moins riche.

À l’autre bout du spectre, dans le camp de ceux qui se montrent le plus insatisfaits à l’égard de la vie, on trouve sans surprise des pays pauvres, notamment de l’Afrique subsaharienne, ainsi que d’autres en proie au chaos, comme la Syrie.

Entre les deux, on trouve les économies émergentes. À voir le score de la Chine (84e) et de l’Inde (117e), on comprend qu’elles ont encore du chemin à faire pour rattraper le peloton de tête. Mais, à voir le Brésil (16e) juste derrière le géant américain, on se dit que rien n’est impossible.

Au Canada, les écarts sont bien minces entre les villes, rapportait aussi cette semaine Statistique Canada dans une autre étude sur le sujet. Le Québec et les plus petites collectivités apparaissent toutefois un peu plus heureux, Saguenay, Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke et Montréal se classant parmi les premières au pays.

 

Des êtres économiques et sociaux

Six variables expliquent les trois quarts des différences entre les pays en matière de satisfaction à l’égard de la vie, disent les experts du Rapport sur le bonheur mondial. Outre la richesse (mesurée par le PIB par habitant), on cite la santé (nombre d’années de vie en santé), la solidarité sociale (le fait de pouvoir compter sur l’aide de quelqu’un d’autre en cas de besoin), la liberté (le sentiment de pouvoir choisir son destin), la confiance (le faible taux de corruption) et la générosité (avez-vous effectué un don récemment ?).

Dans un même pays, les différences entre les régions et les individus seraient plus fortement expliquées par les facteurs sociaux qu’économiques.

Ces facteurs sociaux sont essentiels pour comprendre l’effondrement ou la résilience de l’indice du bonheur de certains pays depuis la crise. Si le tissu social et la confiance dans les institutions n’avaient pas été si faibles en Grèce, son indice de bonheur (maintenant au 102e rang sur 158 pays) aurait reculé deux fois moins, notent par exemple les chercheurs, et s’ils n’avaient pas été si forts en Islande (2e) et en Irlande (18e), la descente aurait été deux fois plus marquée.

Il arrive que des crises amènent les collectivités à tellement resserrer leurs rangs qu’on voit apparaître du bonheur là où on s’y attendrait le moins. On aurait vu ainsi le niveau de satisfaction à l’égard de la vie augmenter dans la région de Fukushima au lendemain de la catastrophe nucléaire.

On rapporte aussi que les 10 pays qui ont le plus amélioré la qualité de leurs services gouvernementaux ont insufflé à leurs citoyens une nouvelle confiance, quant à leur chance de vivre en santé, équivalant à ce qui aurait normalement nécessité une augmentation de 40 % du PIB par habitant.

Passer de la parole aux actes

 

Les experts et les gouvernements cherchent donc de plus en plus à élargir la définition statistique du bonheur. L’OCDE — ainsi que le Canada — fait figure de chef de file en la matière depuis quelques années. On lui doit notamment un « indicateur du vivre mieux » qui couvre 11 domaines de la vie, allant de la prospérité économique au sentiment de satisfaction envers la vie, en passant par la santé, l’éducation, l’environnement, l’emploi, la sécurité, l’engagement civique et l’équilibre travail-famille.

Fait révélateur des questions de valeurs et de priorités qui se rattachent à l’exercice, l’organisme se garde toutefois de décider de la pondération entre tous ces facteurs et, par conséquent, d’établir un classement général.

Tous les pays membres de l’OCDE, sauf trois, recueillent désormais des données sur le niveau de satisfaction envers la vie de leurs citoyens. Un nombre grandissant de pays, de régions et même de villes ont annoncé qu’ils entendaient désormais baser leurs décisions sur un plus vaste éventail d’indicateurs et de données, afin de mieux tenir compte du caractère multifactoriel de l’amélioration du bien-être.

On est toutefois encore loin du jour où les seuls indicateurs économiques seront non pas renvoyés aux oubliettes, mais considérés au même titre que d’autres données d’une autre nature. Il n’y a qu’à voir à quel point c’est difficile pour un enjeu pourtant aussi existentiel que les changements climatiques, pour comprendre que le PIB risque de trôner seul encore longtemps.



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