Vous êtes pas écoeurés d’acheter, bande de caves?

C’est une forme de résistance passive doublée d’une révolte sourde. Chaque fois qu’une bébelle flanche dans la maison, j’essaie de m’en passer. Le lecteur DVD fait des crises aiguës de psychose ? Il est voué à disparaître, de toute façon, remplacé par le nuage, Netflix et compagnie. Si je ne peux pas faire réparer, je renonce. Obsolescence programmée tant qu’on voudra, ma grosse télé achetée il y a 15 ans a un air vintage qui n’est pas si déplaisant. Nous regardons des séries sur Tou.tv avec le iPad, devant elle, sans l’ouvrir. Déclassée, mémé.
Si j’examine attentivement mes achats des dernières années, ils m’ont presque tous déçue ou n’ont tout simplement pas rempli leurs promesses. J’ai même dû me procurer une seconde version de l’iPad depuis sa sortie en 2010.
Quant au reste, je regrette mon aspirateur Dyson asthmatique, ma cuisinière Kitchen Aid prix citron, mon vibrateur suédois avec contrôle à distance (!). Sans oublier le filtre à eau Berkey, acheté sur Internet après le dernier déversement de diesel affectant l’eau potable sur la Rive-Sud.
Je présumais naïvement que, si c’est assez bon pour la Croix-Rouge, ça devrait convenir à une citoyenne lambda un rien prévoyante qui associe les mots diesel et cancer. Il a fallu l’intervention de mon beauf ingénieur pour le monter convenablement et enrayer la fuite. Le retourner au Colorado ? Bonjour le casse-tête.
Je me demande combien de ces bébelles indispensables à notre félicité garnissent les recoins de sous-sols, remises, espaces de rangement et cagibis de nos maisons et apparts, reléguées aux oubliettes, rendues caduques pour cause de lassitude extrême ?
Car la consommation est une bête insatiable, toujours à l’affût de l’insatisfaction générée par la publicité, l’envie, l’ennui, le mimétisme, la peur ou l’ego.
Société de consolation
Le prêt-à-jeter n’a plus la cote chez le consommateur averti et le bobo écolo. De la moindre brosse à dents électrique (jetable) à la robe de bal de finissante (usage unique), on nous incite à disposer, au mieux à recycler (façon de se déculpabiliser), et, depuis peu, à partager. L’économie collaborative commence à faire des petits et nous permet d’offrir notre appart, notre sofa, ou de céder notre gaufrier à des inconnus le temps d’un brunch.
Notre société de consolation n’arrive plus à nous convaincre que le leurre de la nouveauté est une réponse suffisamment durable. Une frange de la population partage le contenu de son frigo, de son coin bricolage ou de ses surplus d’espace de bureau (coworking), pourquoi pas ? Mais si l’on se fie à l’indice de seconde main Kijiji 2015, le Québec est bon dernier dans la revalorisation des objets par rapport au ROC (Rest of Canada). De l’ordre de 50 bébelles ressuscitées contre 76 de moyenne (115 pour les Prairies).
L’individualisme a fait ses preuves en termes lucratifs, mais a vite atteint ses limites quant aux ressources exigées. Nos dirigeants peuvent multiplier les sommets sur les changements climatiques, mais les comportements et les incitatifs pour en changer sont à revoir en amont.
Dans son essai fort bien documenté, Vers une consommation heureuse, Élisabeth Laville, spécialiste française du développement durable, nous explique que pointer les dangers du mouvement consumériste ne suffit pas. Tous les écologistes et porte-voix concernés ont l’impression de radoter depuis 40 ans. Il faut rendre les alternatives attrayantes si l’on espère un changement de mentalités. Comme cette pub de bagnole hybride où un mec über-viril nous annonce qu’il n’est pas devenu écolo (un net recul de l’espèce, si j’ai bien saisi), mais qu’il pense à l’avenir de la planète et qu’il est donc (sous-entendu) un visionnaire qui n’a pas froid aux yeux avec un pied sur l’accélérateur. Fonce Alphonse, je te suis !
Acheter, c’est voter (mais pour qui ?)
La consommation est devenue une science complexe car les choix et les enjeux sont multiples. Dans son essai, Élisabeth Laville parle tout autant de slow fashion, d’abus de médicaments et de consommation de viande que de location de vêtements ou de compagnies comme Patagonia — dont les fringues sont garanties à vie — qui rachètent leurs vieilles fripes pour les recycler. Elle réfute, à l’aide d’études, l’illusion que nous sommes plus heureux grâce au consumérisme.
Bien au contraire : au-delà du cap des besoins de base comblés, le bonheur régresse. « Elle [la consommation] promet un bonheur factice, mais immédiat et facile d’accès, tandis que le vrai bonheur nécessite temps, effort et réflexion. » En fait, on peut faire un parallèle évident entre junk food et junk tout court. Cela nous remplit, mais ne nourrit pas. Et ça se termine chez 1-800-Got Junk ?
L’auteure met en avant nos mécanismes de déni très ancrés : « Je bougerai quand les autres le feront » ; « C’est la faute aux Chinois » ; « Le problème, c’est la surpopulation » ; « Les poètes devraient déménager en Pennsylvanie ou en Utah pour circuler en calèche et s’éclairer à la chandelle » (dixit Françoise Bertrand, la semaine dernière)…
Devant chaque objection avancée, l’essayiste qui avoue posséder un téléphone intelligent, un iPad et un MacBook, déboulonne les mythes. Elle démontre que, si le mimétisme est au coeur de la consommation, il doit aussi être mis à l’oeuvre dans ses remèdes. Elle cite Einstein : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui l’a créé. »
Je commencerais par offrir un tour de calèche dans un village amish à la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec. C’est moins spectaculaire qu’un pipeline ou qu’une cimenterie en Gaspésie, mais peut-être que, sur le fond des choses et le sens qu’on veut lui donner, ces gens-là ont des notions de partage et une vision de l’avenir qui s’avèrent essentielles à notre survie.
Un petit voyage à Pékin avec un masque antismog peut aussi bien faire l’affaire… Comme disait Confucius : je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions.
Du yogourt sans bébelles

Le confort vous invite en hôte et fait de vous son serviteur
La consommation consiste pour les individus à dépenser de l’argent qu’ils n’ont pas, pour acheter des choses dont ils n’ont pas besoin, afin d’impressionner des gens qu’ils n’aiment pas
Selon Goldman Sachs, 70 millions d’individus entrent chaque année au niveau mondial dans une fourchette de pouvoir d’achat située entre 6000 et 30 000 dollars, un phénomène qui devrait s’accélérer encore dans les deux prochaines décennies, avec 90 millions de nouveaux consommateurs par an dès 2030
Aimé le récit Walmart. Journal d’un associé de Hugo Meunier (Lux). Rare incursion aussi prolongée sur le terrain, le journaliste de La Presse a passé trois mois dans les entrailles du géant, en devenant employé du Walmart no 3094 de Saint-Léonard. Durant son infiltration, il a gagné 4150 $ de revenu net (qu’il a reversé à des oeuvres caritatives). La walmartisation de l’Amérique se résume à des salaires médiocres, peu d’avantages sociaux, un roulement rapide d’employés et des conditions dictées aux manufacturiers grâce au pouvoir d’achat. Quant à la qualité… Comme le souligne Hugo Meunier, entre le manufacturier et le client il y a des employés (deux millions dans le monde) qui font les frais de nos « aubaines » jetables. Le portrait n’est pas tendre et le lavage de cerveau concerne chaque palier jusqu’au sommet. Aux dernières nouvelles, Hugo Meunier continuait à boycotter Walmart.
Adoré Cinquante ans de caricatures en environnement d’André Bélisle (Écosociété), président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique. Quelle belle idée que d’avoir rassemblé, grâce aux archives du Musée McCord, 130 caricatures de Garnotte, Chapleau, Aislin, Godin et d’autres, pour montrer l’évolution des dossiers environnementaux ! Les légendes et divers textes nous replacent dans le contexte de l’époque, mais en gros, on peut soutenir que le déni est généralisé et que la tendance lourde se résume à l’immobilisme. À quelques jours du Jour de la Terre, un livre essentiel qui aborde les grands enjeux avec un sourire en coin.
Reçu le roman jeunesse L’héritage d’Anna de Jostein Gaarder, l’auteur du succès mondial Le monde de Sophie, que j’avais adoré lors de sa parution. Toujours fidèle à son parti-pris philosophique, l’écrivain norvégien propose un dialogue entre Anna et son arrière-petite-fille Nova, vivant un siècle plus tard. Anna veut trouver un moyen pour influencer le présent afin de garantir un avenir plus vert à sa descendance. L’auteur (qui a démarré la fondation Sophie pour la préservation de l’environnement) s’attarde au fait que notre époque n’est pas plus importante que toutes celles à venir et que nous ne pouvons pas vivre comme si elle l’était pour ceux qui suivront. Dès 12 ans.