Nordicité

Parlons peu, mais parlons météo ! Il a encore fait froid dans les derniers jours, particulièrement dans quelques régions habitées mais éloignées du nombril du Québec — ça, c’est Montréal — où le mercure a figé sous les moins 8 en plein avril. Sans le sournois facteur vent !

Hiver persistant : cette année, Pâques n’a pas eu d’autre choix que d’être placé sous le signe du chocolat congelé, mais également des soupirs de circonstance face au jardin de givre qui s’éternise. Ç’a pesté entre l’agneau et les « pilées », ç’a ronchonné, ç’a déploré le retard dans la « préparation du terrain », l’« ouverture de la piscine », le « rangement de bottes et de tapis », alors que, normalement, cette conjoncture météorologique aurait dû rendre tout le monde heureux.

C’est pas nous, c’est The Economist qui l’a dit la semaine dernière en dévoilant les résultats d’un sondage européen sur le bonheur, cette abstraction qui rend profondément malheureux ceux et celles qui cherchent désespérément à l’atteindre.

Dans 14 pays, on a demandé aux gens d’évaluer leur niveau de bonheur. Résultats ? Ce sont les Danois qui semblent être les plus convaincus de nager dedans, suivi, avec des autoévaluations similaires, par leurs voisins de la Finlande, de la Suède et de la Norvège. Les Pays-Bas emboîtent le pas, pas très loin de la Belgique, de l’Irlande et de l’Allemagne, où là-bas aussi la confiance règne, forçant du coup la question : peut-on dire que la nordicité, les climats rigoureux offrant des saisons au contraste marqué, dans des sociétés riches et confortables, s’entend, est favorable au bonheur ? Sans doute un peu, mais à condition, bien sûr, de ne pas chercher en permanence à se convaincre du contraire.

Nier la nordicité

Un doute ? Regardez ici, où l’hiver ramène chaque année non pas le bonheur, mais plutôt un sport national étonnant qui consiste à nier la nordicité dans laquelle ce froid s’inscrit. Exception faite des deux semaines entourant Noël, où là ce n’est pas le froid et la neige qui font râler, mais son absence. Quand on cherche le verre à moitié vide…

Froidure de l’air et obstination de la neige sont depuis des lunes taxées d’être les irritants de la nordicité d’ici. À tort, sans doute, puisque les principales sources de la déprime hivernale collective sont bien sûr ailleurs et se présentent sous des formes perfides, qu’il serait peut-être temps d’éradiquer. Pour cesser de subir la condition nordique et à l’avenir se mettre à la vivre, peut-être jusqu’à ce point de bonheur auquel les Danois sont arrivés.

Des pistes de solution ? Ça pourrait commencer par les bulletins de météo et leurs présentateurs qui, à partir du 15 octobre, exposent la chute prévisible des températures toujours accompagnée, ou presque, de ce petit commentaire désolé, entre fatalité contestataire et impuissance victimisante. Et que dire de l’arrivée d’une tempête de neige qui, au lieu d’annoncer la préparation des terrains de jeu hivernaux, trouve plutôt dans l’espace médiatique cette tonalité qui attise la peur et la calamité. La chute de neige comme une surprise à laquelle personne n’était préparé : dans un pays qui, depuis plus de quatre siècles, a la nordicité dans l’ADN, il y a là un certain ridicule qui ne peut laisser de glace.

En ville, l’hiver trouve également son carburant à mauvaise humeur dans la négligence de quelques urbains qui profitent de la neige pour exprimer leur incivilité de manière délétère pour tous, en laissant traîner ici la crotte d’un chien — qui fatalement remonte à la surface à chaque redoux — le contenu mal scellé de son sac à ordures, ce papier gras qui congèle dans un tout qui forcément façonne, dans ce temps de l’année, un environnement à cheval entre la ruelle glauque et la décharge publique sous la neige. Pas très bons pour le moral, et pas seulement celui des esthètes.

L’hiver comme excuse au relâchement. L’hiver comme justification de l’à-peu-près. L’équation a un petit quelque chose de triste que les environnements surchauffés de la nordicité d’ici ne peuvent que venir renforcer d’ailleurs. Le lien ? Il est presque évident : durant les mois d’hiver, y compris ceux qui persistent dans le temps, l’humain passe en effet ses journées entre des températures extérieures très basses et des températures intérieures cherchant à reproduire un climat cubain pour mieux nier le réel. L’humidité en moins.

Quand il fait moins 15 dehors, il peut faire plus 28 ou 29 dedans. Or une masse d’air froid et une masse d’air chaud, en se rencontrant, forment ce qu’on appelle en météorologie une dépression.

Ramené à l’échelle humaine, par temps froid, ceci explique sans doute un peu cela et convoque au passage non pas l’urgence d’un printemps pour s’en sortir, mais bien un esprit scandinave, à apprivoiser, à cultiver, pour donner à l’inéluctable de la nordicité la tonalité qui devrait normalement lui revenir.

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