Dans les pas de Mandela

La journaliste Lucie Pagé, le cœur en Afrique du Sud et l’âme avec les étudiants du Québec, dans la rue.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La journaliste Lucie Pagé, le cœur en Afrique du Sud et l’âme avec les étudiants du Québec, dans la rue.

J’ai rencontré la journaliste Lucie Pagé dans un souper d’intellectuels de Greenpeace, récemment. Vous savez, ce genre de tablée où le vin béni est réputé sans arsenic, le repas végé-bio-local-trad, la salade de fruits sans gluten et la conversation, éolienne et durable. Même Lucie Pagé carbure au solaire, le coeur en Afrique du Sud avec son mari, le militant politique Jay Naidoo, et l’âme à Lac-Mégantic, son patelin de naissance.

Incarnant charisme et aplomb, elle ne pratique pas la langue de bambou : « Ça va nous prendre 60 Gabriel Nadeau-Dubois pour faire lever le mouvement étudiant, dit-elle. Il faut cesser de mépriser les jeunes parce qu’ils descendent dans la rue pour défendre les intérêts de tout le monde. On devrait tous être derrière eux : les syndicats, les parents, les grands-parents ! Voter tous les quatre ans, ce n’est pas suffisant parce que les gouvernements ne nous protègent plus de la cupidité. Ce n’est plus qu’un exercice comptable ! Partout dans le monde, depuis 2008, les gens descendent dans la rue pour faire valoir leurs droits. »

Certains ont reproché au mouvement étudiant de ratisser trop large. Moi, je les trouve bien sages ; ils auraient pu ajouter l’abolition de l’alzheimer collectif, la légalisation du pot et le printemps à température fixe, tous les 20 mars. Ils s’en sont tenus à l’austérité et aux hydrocarbures.

Lucie Pagé, ex-correspondante à l’étranger pour l’émission Nord-Sud et Radio-Canada, en connaît un rayon sur les déferlements populaires qui renversent les pouvoirs en place. Elle a épousé l’une des figures de proue du mouvement antiapartheid, devenu ministre sous Mandela. Le célèbre leader sud-africain assistait à son mariage avec Jay Naidoo et ses trois enfants l’ont côtoyé aussi.

Installée depuis 25 ans en Afrique du Sud, Lucie Pagé fait la navette entre son coeur et son âme tout en se désolant de posséder un passeport canadien. « À l’étranger, nous ne disons plus que nous sommes Canadiens. En 2011, à la Conférence de Durban sur les changements climatiques, nous l’avons caché, mon fils Kami et moi. Tout le monde sait que le Canada est la figure emblématique mondiale de l’inaction climatique. 193 pays cherchent des solutions et un seul s’y oppose. »

Kami Naidoo-Pagé, aujourd’hui âgé de 23 ans, étudie en droits de la personne à Johannesburg, après avoir suivi une formation en militantisme environnemental et travaillé dans les favelas brésiliennes et les bidonvilles indiens pour comprendre le monde qu’il voulait changer. Lucie et lui ont publié l’automne dernier Demain, il sera trop tard, mon fils, un échange épistolaire à la fois intellectuel, factuel et émotif qui a demandé à la journaliste quatre années de recherches sur les sujets environnementaux. Demain, c’est aujourd’hui.

Sortir de sa zone de confort

 

Lucie Pagé promène sa conférence sur l’environnement et signe des livres au Québec en maintenant l’espoir que les jeunes feront trembler le sol et n’oublieront pas la charge symbolique de Lac-Mégantic. « Je ne crois plus en ma génération ni en celle qui la précède, dit la jeune quinqua. Elle est endormie par le confort. L’inconfort fait grandir. L’autre jour, à Montréal, un réparateur me racontait qu’une dame l’avait fait venir parce qu’il y avait un degré Celsius de différence entre sa chambre à coucher et son salon. On se bat contre ça : le confort absolu. »

À ses yeux, l’apathie collective est un véritable tueur de justice. « Justice », un mot qui revient souvent dans son discours et ses nombreux ouvrages sur l’Afrique. « Les jeunes que je rencontre dans les cégeps, les universités, sont découragés, déprimés. On marchandise des écosystèmes ! Tu ne peux pas marchander des valeurs. Notre économie linéaire dans des écosystèmes circulaires, ça ne marche pas ! »

Son fils Kami affirme qu’il y a eu « génocide des valeurs ». Et ce génocide est pernicieux, appliqué à la lettre et légalement par un (des ?) gouvernement qui coupe dans la connaissance, les universités, la recherche scientifique, les médias et la prise de parole publique sous couvert de sécurité (C-51). « Une population mal éduquée et mal informée, ça fait leur affaire. Ils nous veulent caves, pour continuer à les élire. »

Elle me mime la manifestation pour sauver Radio-Canada, en novembre dernier : « C’était la marche la plus plate de la planète ! Vous allez marcher jusqu’à l’an 3000 avec cette énergie-là ! Il faut oser ! Il faut qu’un Fred Pellerin nous fasse une chanson courte, il faut une masse, une foule qui chante à l’unisson ! En Afrique du Sud, ç’a fonctionné parce que les chants de libération ont canalisé cette énergie humaine ! »

En prison, Nelson Mandela et ses compagnons d’infortune s’étaient vu interdire le chant, alors qu’on les avait assignés aux travaux forcés dans une mine de chaux. Trop puissant.

L’ubuntu

Lucie Pagé constate que nous nous acharnons sur la dette nationale, mais pas sur l’endettement environnemental. « Tous les enfants du primaire savent que nous prenons une planète et demie pour vivre chaque année. Pas un banquier n’irait gruger dans son capital comme ça ! »

Ses enfants, dont deux vivent en Afrique du Sud, lui disent que ce qui leur manque lorsqu’ils sont là-bas, c’est le sirop d’érable. Mais lorsqu’ils sont au Québec, c’est l’ubuntu (prononcez oubountou). C’est une pratique à la base de tout ce qu’a entrepris Mandela. Lorsqu’il est sorti de prison après 27 ans et qu’il a tendu la main à l’ennemi pour travailler en commun, c’est l’ubuntu : « Je suis parce que nous sommes. »

« C’est une philosophie d’entraide et de solidarité. Ici, au Québec, on a perdu le “ nous ” des années 1970. Il n’y a pas d’ubuntu. L’individualisme prime. Qui a changé le monde en Mai 68 ? Ce sont les étudiants. Et en Afrique du Sud ? Les jeunes aussi. Pourquoi ? Parce qu’ils sont plus téméraires et qu’ils ont plus à perdre ; c’est leur avenir qui se joue. Si les jeunes Africains n’étaient pas descendus dans la rue en risquant leur vie, rien ne se serait passé. Ici, on ne va pas voter parce qu’il pleut… »

Il y a un dicton sud-africain qui dit : « Si la vérité fait mal, le silence tue. » Demain, si rien n’est fait, nous serons des réfugiés du silence.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

Sans gluten et avec humour

Vous avez été très nombreux à m’écrire au sujet de mon texte de la semaine dernière intitulé « Sans gluten, sans lait et sans amis ». Vous aviez beaucoup à dire sur la diète hypotoxique et les bienfaits apportés dans votre vie, depuis quelques semaines ou des années. Vous m’en voyez ravie pour vous. Et pour tous les intolérants à la dissidence boulangère que le sujet irrite, quelques minutes d’humour (en anglais) : devour.com/video/how-to-become-gluten-intolerant.

Vous le suivez dans son périple au Sénégal, puis en Asie ? Je parle de mon collègue Guillaume Bourgault-Côté. Je ne le connais pas personnellement (j’ai raté les derniers partys au journal), mais je me délecte de sa plume. Il ne rentre qu’en mai, quelle chance pour nous ! ledevoir.com/opinion/blogues/le-petit-carnet.
 

Au lieu de les railler, on devrait peut-être les écouter

Ça semble impossible, jusqu’à ce que ce soit fait

L’ennemi est parasitique, flou et puissant, et il aime l’argent. Et lorsque tout s’effondre, ce sont les citoyens qui paient la note.

Dévoré le livre Demain, il sera trop tard, mon fils de Lucie Pagé, avec la collaboration de Kami Naidoo-Pagé et de Jay Naidoo (Stanké). On y aborde plusieurs thèmes fouillés, toujours sous l’angle environnemental et sous forme d’échanges mère-fils. Le père ajoute parfois son grain de sel. Jay Naidoo rappelle que la première loi de l’humanité est de ne pas tuer nos enfants. Son fils Kami se demande s’il pourra en avoir. Ce qui différencie ce livre de toutes les thèses écolos habituelles, c’est son humanité et la filiation, la conversation 
intergénérationnelle.

Noté que Lucie Pagé donnera plusieurs conférences prochainement, notamment le 1er avril à l’UQAM et le 8 avril au cégep de Sainte-Foy. Elle galvanise les assemblées par son énergie et son humour. Je l’ai entendue en zoulou à Mansonville (sans traduction simultanée) et j’ai réussi à comprendre. Félicitations aux organisateurs ! luciepage.com. Vous pouvez aussi la rencontrer au Salon du livre de Trois-Rivières cette fin de semaine et à celui de Québec du 9 au 12 avril. Elle sera également de la marche Action Climat le 11 avril, à Québec, avec son mari Jay Naidoo. actionclimat.ca.

Halluciné sur le documentaire Le prix à payer de Harold Crooks. Ce film, qui porte sur les paradis fiscaux et la dématérialisation de l’économie mondiale, nous explique les rouages complexes de la nouvelle donne financière, depuis La City, à Londres, jusqu’aux Bermudes. « L’histoire des forces puissantes qui creusent le gouffre entre une poignée de privilégiés et la multitude des autres. » En matière d’inégalités, l’économiste Thomas Piketty démontre que nous sommes revenus au même point qu’en 1913. Les intervenants (dont Luc Godbout, Alain Deneault et Brigitte Alepin, du Québec) sont passionnants. Et comme pour les changements climatiques, la solution se trouve dans un règlement international. L’ubuntu ? bit.ly/1yshuZo.


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