L’enveloppe
Une grande enveloppe blanche matelassée m’attendait au journal. À en croire les coordonnées imprimées de son expéditeur, surplombées d’une fleur de lys stylisée, j’avais devant moi un envoi officiel de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.
J’ouvre et trouve un ouvrage volumineux publié à compte d’auteur, un livre consacré tout entier à célébrer Adrien Arcand, tête forte, tête folle, raciste, antisémite, monarchiste, affabulateur de première, figure de proue du fascisme au Canada au XXe siècle, mort en 1967 et passé à l’oubli, en partie grâce à des mécanismes de refoulement de la conscience historique. En guise de justification à l’envoi de ce livre intitulé Arcand ou la vérité retrouvée, une simple note : « Cher ami, nous croyons que ce livre saura t’intéresser. » Puis une signature, illisible.
Recueil de correspondances glanées çà et là dans les archives, ce livre est le fruit d’une impulsion initiale donnée par Jean Côté, auteur d’ouvrages consacrés au bronzage autant qu’à la séduction. Journaliste à ses heures, Côté fut le cofondateur de l’agence de presse Telbec. Il est aussi le biographe empressé et laudateur de Gilles Rhéaume, de son ami Pierre Péladeau et de Paul Bouchard, publiciste de Duplessis. Toute sa vie, Côté a défendu des idées de droite fortes de café.
Jean Côté est décédé en 2009. Ses fidèles se sont chargés de terminer ce travail qui vient de paraître afin de contribuer à repousser les valeurs intellectuelles et morales de la Révolution française. L’antisémitisme et le racisme y sont érigés en colonne vertébrale de la pensée politique. Comme il est courant dans ce genre de livre, on ne raisonne pas. Jamais on ne se donne la peine de corroborer ses assertions ou ses admonestations par des démonstrations dignes de ce nom.
Dans ces pages, Jean Côté paraît sur une photo en compagnie du néonazi Ernst Zündel, antisémite virulent et diffuseur d’élucubrations négationnistes. Zündel fut extradé du Canada vers l’Allemagne en 2005. Rhodésiens, ultramontains, négationnistes et vieux nazis sont au nombre des auteurs dont ce livre recommande chaleureusement la lecture à titre de « courageux défenseurs de l’Occident chrétien ».
La Société Saint-Jean-Baptiste, un mouvement indépendantiste, a-t-elle vraiment quelque chose à voir avec la diffusion de pareil document ?
J’ai téléphoné à la SSJB. Maxime Laporte, le jeune avocat tiré à quatre épingles qui en est désormais le président est pour ainsi dire tombé de sa chaise. Il signale que l’organisme qu’il représente a été par le passé plus d’une fois « victime d’intoxication » et que cela, à l’évidence, se poursuit aujourd’hui. « C’est sûr que ce n’est pas un officier de chez nous qui a envoyé ça », insiste-t-il. Selon lui, l’enveloppe envoyée n’est d’ailleurs pas du type exact de celles utilisées par les envois habituels de l’organisme.
Il y a des gens, dit Me Laporte, qui ont avantage à faire passer la SSJB pour ce qu’elle n’est pas et, surtout, « pour ce qu’on ne veut pas être ». « C’est épouvantable. D’autant que la SSJB s’affiche désormais comme écologique, favorable aux Premières Nations et progressiste. Moi, comme avocat, j’ai défendu des étudiants. Et je suis un antifasciste ! »
Les petits plaisantins doivent bien rigoler. D’autant plus que les accusations de « nationalisme ethnique » pleuvent dru ces temps-ci. Elles encouragent à croire qu’il existerait au Québec une haine pathologique de l’autre. Il faut dire que, dès lors que les oiseaux de notre monde politique volent encore plus bas que d’ordinaire, il ne faut pas forcément en vouloir aux météorologues du malheur de prévoir du gros temps.
Un PKP n’est certes pas brillant de laisser entendre qu’il y aurait plusieurs catégories de citoyens et que certaines porteraient plus que d’autres le poids d’un échec politique collectif. Ses excuses n’empêcheront pas qu’on l’accuse, ainsi que ceux qui l’ont applaudi, de déraper, en rappelant de surcroît l’épisode désolant de la charte des valeurs et du virage identitaire opéré par l’aile conservatrice du PQ.
Le très gros du mouvement indépendantiste québécois n’est pas le fait de petits Adrien Arcand d’un genre nouveau, cachés derrière les habits neufs de la vieille droite identitaire. Vouloir laisser croire le contraire est absurde. Mais comme cela se produit autour d’autres absurdités, il s’en trouve pour y croire.
Il n’en reste pas moins vrai que la glose infinie sur les « valeurs québécoises » et le voile des musulmanes se porte aussi bien qu’au temps où l’on se questionnait sur le sexe des anges. Les ravages causés par un manque de soutien à la francisation et ceux consécutifs à l’absence de promotion d’une culture commune suscitent hélas beaucoup moins d’attention.
Pendant ce temps, pour paraphraser l’écrivain Eduardo Galeano, les machines du néolibéralisme continuent de conspirer la nuit afin de rendre nos journées infernales. Et pourtant on reste là, à assister béats à la mise en place d’un désastre culturel et social où de nouvelles formes d’exploitation se boulonnent les unes aux autres.
Quel est le sens profond par exemple de ce rapport Godbout sur la fiscalité qui vient tout juste d’être publié ? Sans doute faut-il simplifier l’univers fiscal. Mais proposer, entre autres choses, de taxer les couches pour bébé et les livres, n’est-ce pas là deux riches indices du pauvre avenir que l’on dessine sans nous pour nous ?