Le coeur à l’ouvrage

Olivier Blais, toujours prêt à faire l’accolade attriqué comme ça. « Comme ça », c’est un une-pièce à capuche molletonné aux motifs léopard (« Ce costume a reçu au moins 80 000 câlins ! »), des bottes noires et un chandail vert fluo avec « Câlins gratuits » inscrit dessus.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Olivier Blais, toujours prêt à faire l’accolade attriqué comme ça. « Comme ça », c’est un une-pièce à capuche molletonné aux motifs léopard (« Ce costume a reçu au moins 80 000 câlins ! »), des bottes noires et un chandail vert fluo avec « Câlins gratuits » inscrit dessus.

Les câlins, c’est pas trop mon truc. Venant de n’importe qui, ces secondes de proximité m’ont toujours rendue inconfortable. Je travaille fort pour devenir plus réceptive — histoire de ne pas avoir l’air sans coeur —, mais surtout parce que l’accolade semble devenue la meilleure amie du bonjour.

La serveuse d’un bar où je revenais pour la seconde fois m’a accueillie en me serrant dans ses bras — le pourboire que j’avais donné la fois précédente n’était pourtant pas de calibre à laisser un souvenir impérissable. Plus besoin de bien connaître la personne pour l’enlacer.

Dans la cour d’école, entre chums de gars, collègues ou voisins, le câlin à la cote. Que cette hausse soit attribuée au déclin de l’homophobie ou aux formules de salutations qui sont moins formelles qu’autrefois, Olivier Blais a de quoi se réjouir.

Étudiant en communications et relations humaines, le brunet de 26 ans distribue depuis deux ans des câlins aux gens qu’il croise dans la rue. Avec l’énergie positive qu’il dégage, il est tout désigné pour reprendre le flambeau de Monsieur Câlin, qui semait le bonheur dans le Vieux-Montréal jusqu’en 2008.

S’il a remisé son costume et embrasse désormais la vie au Mexique, il arrive encore à Martin Neufeld d’ouvrir ses bras aux quidams. Dans un courriel, il m’écrit : « La place Jacques-Cartier me manque de temps en temps, car mes années comme M. Câlins ont été les meilleures de ma vie et la source de mes plus grandes joies. » Le pouvoir du câlin.

Bien que des experts paient leur loyer en facturant 35 $ la demi-heure pour des câlins platoniques, Olivier préfère donner sans rien demander en retour. « J’veux pas avoir à faire de rapport d’impôt pour des câlins », me glisse-t-il entre deux accolades et un « Vous avez un beau sourire, madame ! ». En compagnie d’autres généreux donateurs de sa Brigade du bonheur, de l’amour et de la paix, il visite les résidences pour personnes âgées, les hôpitaux, apporte câlins et sandwichs nutella-beurre d’arachide aux itinérants.

Le jour où je l’ai rencontré, il est parti de son Sainte-Hyacinthe à l’aurore pour serrer dans ses bras les passagers en transit au terminus Longueuil. Serveur et employé d’une firme de télémarketing, il consacre entre 5 et 20 heures par semaine à sa mission, tout en remplissant les plages de son agenda déjà bien rempli par du bénévolat et l’école. Toujours prêt à faire l’accolade, il assiste à ses cours attriqué comme ça.

« Comme ça », c’est un une-pièce à capuche molletonné aux motifs léopard dont les taches sont en forme de coeur (« Ce costume a reçu au moins 80 000 câlins ! »), des bottes noires (aux lacets brodés de coeurs) et un chandail vert fluo avec « Câlins gratuits » inscrit dessus. Quand les gens l’aperçoivent à la sortie du terminus avec son sourire aussi large que ses bras, tout de suite, la dynamique se dessine. Des sourires. Plein de sourires. Ravis, gênés, intimidés.

Certains évitent son regard, l’ignorent ou ne le voient simplement pas, penchés sur leur téléphone ou plongés dans leur livre. Il y a toujours quelqu’un qui se rue sur lui et l’enlace comme s’il était une oasis dans le désert. Ça lui arrive que des gens pleurent dans ses bras parce qu’ils viennent d’avoir une mauvaise nouvelle.

Parce que personne ne les a pris dans ses bras depuis longtemps. D’autre lui serrent la main ou sont plus confortables avec le fist bump à la Obama.

Pour avoir testé ses accolades (professionnalisme oblige), je confirme qu’Olivier est un pro, visiblement destiné à devenir câlinours. Confortable, rassurant, apaisant, il sait doser et quand s’arrêter. Ses câlins sont de qualité supérieure. Un policier sur quatre qui croise son chemin ne peut y résister. « Chu une police. Tout le monde haït ça, une police », disait Berrof dans l’épisode de 19-2 cette semaine. Un p’tit tour coin Saint-Denis et Maisonneuve, là où Olivier sévit souvent, et il retrouverait foi en l’humanité.

 

« Tu ne veux pas un câlin du gros nounours ? » Assise sur une banquette, la dame dévisage son amie. « Eille laisse faire, toi. J’veux pas pogner de microbes. » Pourtant, cette femme aurait pu s’y adonner gaiement car, selon une étude de l’Université Carnegie Mellon, à Pittsburgh, l’une des plus mignonnes manières de prévenir la grippe serait justement de se faire des câlins.

Elle remonte à quand, ta dernière grippe, Olivier ? « Euh… deux ans, j’pense. » Quand il a annoncé à sa mère qu’il allait dédier sa vie à la distribution de bonheur sous forme de câlins aux gens dans la rue, elle, inquiète, craignait qu’il lui arrive un pépin. Voilà un danger écarté.

Olivier est aussi immunisé contre les refus de câlins (pour en avoir distribué à Québec, Drummundville, il remarque qu’à Montréal, les gens sont plus froids qu’en région). « On vit tellement dans un mode de vie individualiste et dans le paraître. Si j’ai eu l’idée de me consacrer à ça, c’est que j’ai eu envie de ramener les gens dans l’être. Ils ont besoin de se sentir appréciés et qu’on leur dise bonjour. C’est vraiment magique et ça nous apporte une énergie très positive. Veux-tu essayer ? Prends-toi un chandail », qu’il dit en glissant dans ma main un paquet de « cartes câlin » à distribuer, pour que les gens puissent donner au suivant (ses cartes voyagent et sa brigade s’agrandit ; des personnes du fin fond du Bas-Saint-Laurent jusqu’en Europe demandent à recevoir des cartes à distribuer dans leur patelin).

J’ai camouflé ma nervosité, plus ou moins prête à affronter mon inconfort, j’ai ouvert les bras à cette foule d’inconnus qui fonçaient sur nous pour ne pas rater leur métro, en serrant la mâchoire. Et je me suis laissée prendre au jeu.

J’ai été surprise de voir à quel point une accolade sincère et réciproque à un pur inconnu procure une sensation qui ressemble à celle d’embarquer dans le Monstre, à la Ronde. Le vertige de cette tendresse candide, venant de gars et de filles de tous les âges, couleurs, professions, est grisant. Quand c’est fini, t’en veux un autre.

Soudain, trois employés d’entretien se sont rués sur Olivier et l’ont pris en sandwich, l’enlaçant, jouant avec la queue de son costume. « Si tu peux faire sourire les gens, c’est ben tant mieux ! Continue, man ! », lance le premier en lui tapant dans le dos. « Crois-moi que ma blonde va avoir tout un câlin quand elle va arriver à’ maison. » Ils ont chacun pris deux-trois câlins en réserve avant de partir en discutant bruyamment, comme des ados.

Leur enthousiasme résonnait encore dans le terminus alors qu’ils descendaient l’escalier pour retourner au boulot.

« Bon. On va aller semer du bonheur à l’UQAM, maintenant. »



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