Sans gluten, sans lait et sans amis

La biochimiste Rosemary Tiklé, une adepte du régime hypotoxique qui a métamorphosé sa vie. Croquée ici durant l’un des ateliers de cuisine qu’elle anime au Spa Eastman
Photo: Danielle Poitras La biochimiste Rosemary Tiklé, une adepte du régime hypotoxique qui a métamorphosé sa vie. Croquée ici durant l’un des ateliers de cuisine qu’elle anime au Spa Eastman

Je ne pensais jamais m’y mettre, moi, la pâtissière impénitente, l’amante de la bonne brioche, pas née de la dernière farine et capable de distinguer le bon grain de l’ivraie. Une mode, le sans-gluten ? Sûrement, me disais-je. Le cancer aussi est une mode répandue, de même que l’autisme, l’alzheimer, les sinusites, l’arthrose. Question de vieillissement de la population dans certains cas, mais peut-être aussi d’alimentation.

Cela faisait quelques années que les livres de la chercheuse en microbiologie et immunologie, Jacqueline Lagacé, me faisaient de l’oeil. J’ai résisté longtemps. J’y ai plongé l’été dernier, encouragée par un diagnostic de cancer du côlon (malgré quatre années de végétarisme soutenu). J’ai adopté le sans-gluten, puis coupé le peu de produits laitiers qui me restaient, tout doucement. Secrètement, je souhaitais ne déceler aucune différence et poursuivre ma vie comme avant, sans perdre toutes les invitations à dîner chez des amis.

Heureusement, autour de moi, de plus en plus de gens abandonnaient le gluten ; l’une avait guéri ses tendinites, l’autre se sentait moins ballonné et fatigué, un dernier qui venait de lire Grain Brain me jurait que le gluten des « nouvelles » céréales est en amont de problèmes mentaux, dont la schizophrénie et la dépression.

De mon côté, je me suis débarrassée d’une capsulite à l’épaule en trois semaines (alors que la dernière m’avait talonnée deux ans) et je constatais déjà 75 % d’amélioration après trois jours. Et je n’étais pas sans savoir que le cancer est une maladie qui fait son nid dans un milieu inflammatoire.

La diète hypotoxique (anti-inflammatoire) venait d’entrer dans ma vie. Jacqueline Lagacé, qui a dû prendre sa retraite en 2003 en raison de problèmes d’arthrite sévères et d’arthrose, a vulgarisé les travaux du médecin français Jean Seignalet, spécialisé en immunologie, rhumatologie et nutrithérapie.

Jacqueline Lagacé s’est guérie elle-même et a retrouvé l’usage normal de ses mains après 16 mois ; la douleur avait disparu après 10 jours. Elle est loin d’être la seule. Ses trois livres se sont vendus à 160 000 exemplaires, tous titres confondus, et les témoignages abondent sur son blogue (jacquelinelagace.net).

J’ai rencontré cette chercheuse scientifique très impliquée et longuement conversé avec elle, bien avant de décider d’en parler ici. Il ne fait aucun doute que Mme Lagacé souhaite que son expérience profite à d’autres, malgré les réserves et les résistances à surmonter. Elle l’a constaté maintes fois : « Lorsque les gens sont assez malades et fatigués de l’être, ils essaient le régime. »

Oui, mais…

Le sarrasin, les farines de riz et de châtaigne sont devenus mes amis. Curieusement, c’est le yogourt et le fromage qui me manquent le plus. Et je n’ai arrêté le yogourt que la semaine dernière. Pour voir. Mais quand on sait que, sur 2500 patients du Dr Seignalet, 91 maladies inflammatoires ont répondu positivement à son régime chez 80 % des patients, cela vaut le coût d’essayer. D’autre part, on retrouve dix fois moins de cancers chez les personnes qui adoptent cette diète, selon les observations du médecin.

Jacqueline Lagacé rapporte dans son livre Comment j’ai vaincu la douleur et l’inflammation chronique par l’alimentation que 10 % des gens souffriraient d’une sensibilité au gluten non coeliaque et que cela peut se manifester tant par l’acné que par l’alzheimer, du diabète de type 2 à la sclérose en plaques. Son best-seller fait état de toutes les maladies impliquées et des taux de succès rencontrés.

L’animateur Denis Lévesque a d’ailleurs largement contribué au succès de Mme Lagacé, souffrant lui aussi d’arthrite et l’ayant invitée à son émission. Le lendemain, on manquait de galettes de riz et de lait d’amande dans les épiceries. Et Denis Lévesque rapportait une amélioration notoire de son état de santé quelques semaines plus tard.

Le succès du livre et les résultats ont fait boule de neige. Des médecins le conseillent à leurs patients condamnés. Ce fut le cas pour Rosemary Tiklé, une biochimiste du milieu pharmaceutique, diagnostiquée en 2009 d’une maladie orpheline, un angio-oedème chronique idiopatique, sorte d’urticaire invalidante. Elle avait 37 ans, deux jeunes enfants et ne pouvait plus travailler. Son médecin de famille lui a tendu le livre de Jacqueline Lagacé en 2012. Deux semaines après avoir entrepris la diète, elle réduisait le Benadryl. Deux ans plus tard, elle ne prenait plus aucun médicament et avait retrouvé le sourire.

Aujourd’hui, Rosemary est une ambassadrice passionnée de cette diète qu’elle décortique et vulgarise. Devenue végétalienne dans la foulée, elle prépare un livre de cuisine hypotoxique/végé et anime des ateliers pour enseigner les principes de cette révolution alimentaire. Pour une fille qui n’avait jamais mis les pieds dans un magasin d’alimentation naturelle, on peut véritablement parler de métamorphose.

Orthorexie ou nutrithérapie ?

Au Spa Eastman, en Estrie, où Rosemary anime des ateliers, cela fera cinq ans que la cuisine servie est rigoureusement calquée sur les principes de cette diète décrassante qu’on rebaptise « régime tonique ». La directrice, Jocelyna Dubuc, trouvait plus simple de l’imposer à tous et de limiter les problèmes d’allergies de plus en plus fréquents. Pour avoir goûté à maintes reprises à cette cuisine, végé ou non, on peut très bien satisfaire son épicurisme et se sentir encore en vie en sortant de table.

En lisant un article dans le magazine Châtelaine du mois de mars (« Pas dans mon assiette ! »), je me suis demandé si j’étais devenue orthorexique : ortho pour « droiture » et orexie pour « appétit ». Peut-être aux yeux de ceux qui n’ont pas encore flirté sérieusement avec la maladie. Pour moi, ce principe « de précaution » n’a plus rien de farfelu, même si le parcours est exigeant en temps, en connaissances et en $$$.

Pour rassurer les amis (et les garder), je triche aussi. Ça leur évite de se poser des questions, et moi, d’y répondre. C’est quand la cabane à sucre, déjà ?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

Les êtres humains, qui sont remarquables de par leur capacité à tirer des leçons de l’expérience des autres, sont également remarquables pour leur inclination à ne pas le faire

La parole est l’ombre de l’action

Ce genre de propos sont inflammatoires

Deux, c'est mieux? Et trois, tu meurs.

Ne vous étonnez pas si vous n’entendez pas beaucoup de reportages sur la nocivité du lait. Jacqueline Lagacé s’est déjà fait dire par la télé de Radio-Canada qu’on ne pouvait pas « la passer » parce qu’elle pourfendait les produits laitiers (données à l’appui) dans ses livres. Pourtant, deux études majeures sont encore passées sous les radars l’automne dernier. Dans l’une (publiée dans le British Journal of Cancer), des chercheurs suédois ont suivi plus de 20 000 personnes intolérantes au lactose et découvert qu’elles avaient 45 % moins de risques de développer un cancer du poumon, 39 % de moins de cancer des ovaires et 21 % pour le cancer du sein. L’autre étude (publiée dans le British Medical Journal), qui a suivi 61 000 femmes pendant 20 ans et 45 000 hommes pendant 11 ans, nous apprenait que la mortalité est plus élevée chez ceux qui consomment trois verres de lait, comparativement à ceux qui n’en boivent qu’un par jour. Le risque de fracture aussi… On peut consulter les deux études dans cet article de Protégez-VousSi c’est comme pour le sucre, on peut supposer que la désinformation et le lobbyisme ont bien joué leur rôle. Un article à ce sujet dans Le Monde.
 
La biochimiste Rosemary Tiklé, une adepte du régime hypotoxique qui a métamorphosé sa vie. Cro­quée ici durant l’un des ateliers de cuisine qu’elle anime au Spa Eastman.

Souri en lisant l’article du journal satirique Le Navet : « Étude : une diète sans gluten réduirait le risque d’être invité à souper chez des amis. »

 

Noté que Rosemary Tiklé donnera une conférence sur l’alimentation hypotoxique, ce dimanche 22 mars à 12 h 30, à l’Expo manger santé et vivre vert. Elle sera précédée à 11 h 45 par la naturopathe Marlène Boudreault sur le cancer et l’alimentation vivante.

 

Aimé Recettes gourmandes contre la douleur chronique de Jacqueline Lagacé. Dans ce dernier livre, on retrouve les recettes de Jacqueline et de ses amies cuisinières, ainsi que celles des chefs Kévin Bélisle et Jean-Marc Enderlin du Spa Eastman. Cuisine plus familiale contre cuisine de restaurant, vous avez les deux dans un. Même but : se sentir mieux dans son assiette.

 

Reçu Gluten. Comment le blé moderne nous intoxique de Julien Venesson (éditions Thierry Souccar). Ce journaliste scientifique français (ils s’y mettent aussi, malgré une tradition boulangère très forte) fait le tour de la question et nous l’explique depuis le Paléolithique. Venesson dévoile aussi sur son blogue une étude récente qui établit un lien entre diabète, obésité et diète sans gluten. Pourquoi ? À cause des produits industriels « sans gluten » disponibles en épicerie, bourrés de sucres et de graisses, notamment. Quand je disais que c’était coûteux en temps et en connaissances, voilà pourquoi : il faut cuisiner soi-même.



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