Les écrans sexistes

Connaissez-vous le test de Bechdel ? Cela vaut la peine de s’intéresser à cette curiosité féministe en ce lendemain de 8 mars, à quelques jours du gala des Jutra.

Le test apparaît dans l’épisode The Rule de la bande dessinée Dykes to Watch Out For (1985). La bédéiste américaine Alison Bechdel y imagine un indicateur de sexisme pour évaluer les films.

Le test repose sur trois questions toutes simples qu’il faut poser à l’oeuvre observée : (1) le film comprend-il au moins deux personnages de femmes… (2) qui parlent entre elles… (3) d’autre chose que d’un homme ?

Et c’est tout ? Et c’est tout.

Dans la BD, la lesbienne qui expose cette triple règle s’en sert pour choisir ses films. « Et le dernier que j’ai pu voir c’est Alien », dit-elle.

Il existe des variantes qui font par exemple se demander si les personnages de femmes du film portent des noms. Ou si leur conversation dure plus de 60 secondes.

 

En général, les blockbusters échouent lamentablement au test. Une très sérieuse application a montré que la moitié des films en nomination aux Oscar de 2009 ne passait pas non plus la rampe antisexiste.

Le site bechdeltest.com enrichit constamment l’examen. Aux derniers comptes dévoilés dimanche, en cette Journée internationale des femmes, sur les 5801 films passés au crible, 3337 (58 %) remplissaient les trois conditions. Le reste n’en satisfaisait que deux (10 %), une (22 %) voire aucune (10 %).

L’analyse se raffine pour des milliers de longs métrages, vieux et neufs. Les 101 dalmatiens réussit l’examen, tout comme 12 Years a Slave, Boyhood ou Birdman. Par contre Un prophète, Le dictateur et Forest Gump échouent.

En fait, toutes les statistiques américaines cinématographiques laissent une très forte impression de discrimination. Les femmes représentent là-bas 30 % des apparitions parlantes à l’écran, 29 % des personnages et 12 % des rôles principaux. Les chiffres ne gonflent pas avec les cent films les plus profitables de 2014. La majorité des femmes à l’écran ont moins de 40 ans alors que plus de la moitié des acteurs ont plus que cet âge. Les femmes sont aussi sous-représentées comme réalisatrices (7 %), scénaristes (11 %) et productrices (23 %).

Et ici ?

Le cinéma américain domine nos écrans, alors ces statistiques nous concernent pleinement. Mais les nôtres ne valent guère mieux.

 

La sociologue Anna Lupien a réalisé en 2013 une étude sur « l’influence du sexe des cinéastes sur la représentation des hommes et des femmes dans le cinéma québécois récent ». En l’occurrence, le « récent » renvoie aux quelque 40 films québécois tournés en 2011, dont une douzaine par des réalisatrices. Et encore, une seule d’entre elles a alors tourné un long métrage commercial.

Les conclusions indiquent aussi vers un effet de genre. Les réalisateurs et les scénaristes masculins accordent par exemple plus souvent (72 %) la faveur à des premiers rôles masculins tout en minimisant les rôles parlants pour les femmes (37 %). Les réalisateurs emploient majoritairement (60 %) des femmes entre 20 et 40 ans tandis que les réalisatrices favorisent (45 %) les comédiennes de 40 ans et plus.

L’étude met aussi en évidence la surexploitation de la nudité féminine et de violence par les réalisateurs masculins. « Une plus grande équité pour les réalisatrices apporterait nécessairement une diversité de points de vue, d’histoires et de personnages, et cet enrichissement de notre paysage cinématographique bénéficierait à l’ensemble de la population », conclut la sociologue.

Bref, il n’y a pas de quoi se consoler en se comparant. Reste alors à se demander ce qui se passe sur l’autre écran, à la télévision.

À l’évidence, les personnages centraux et puissants de femmes ne manquent pas dans les productions comme Nouvelle adresse, Mémoires vives, 30 vies ou Au secours de Béatrice qui passent toutes haut la main le test de Bechdel. Unité 9 se retrouve même dans une classe à part. La série a été encensée jusqu’à l’étranger pour son portrait d’une prison pour femmes.

Mais encore ? Deux autres sociologues, Anouk Bélanger et Anne Migner-Laurin, ont examiné 60 ans de télévision québécoise dans l'étude Les réalisatrices du petit écran (2013). Leurs données montrent que, de 2002 à 2007, les femmes ont reçu un dixième des enveloppes de production pour réaliser le quart des productions. Elles reçoivent même quatre fois moins d’argent que les réalisateurs dans le domaine « variétés et arts de la scène » qui pourrait être réputé plus féminin, selon le cliché.

Les réalisatrices sont quasi absentes des variétés (8 %). Sur l’ensemble des émissions en ondes en 2010-2011 à Radio-Canada, une seule (Tout le monde en parle et sa Manon Brisebois qui « pèse s’ul piton ») était réalisée par une femme. Aucune des séries télévisée des trois réseaux généralistes (RC, TVA, TQ) n’était alors réalisée par une femme. Et pourtant, elles sont majoritaires dans les écoles de formation.

Comme quoi il n’y a pas que le test de Bechdel pour conclure à la discrimination généralisée, ici comme ailleurs…

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