Sans se plaiiiiiiiindre!

L’année de la chèvre est propice aux plaintes, car l’animal est capricieux. Petit défi pour surmonter le naturel, qui revient toujours au galop.
Photo: L’année de la chèvre est propice aux plaintes, car l’animal est capricieux. Petit défi pour surmonter le naturel, qui revient toujours au galop.

Il y a tant de raisons de se plaindre, surtout quand on a tout pour être heureux. Je ne soulignerai donc pas à quel point je trouve l’hiver trop long. Je ne dirai pas que j’ai mal ici ou là. Aucun intérêt. Je ne parlerai pas de l’austérité ni des impôts. Cela n’a rien d’original. Tout le monde y passera. Pas les riches, mais les autres, oui. Depuis 21 jours, j’ai cessé de me plaindre. Incroyable, on ne me reconnaît plus. Je est un autre, comme disait Rimbaud.

Et cette autre a coupé le son lancinant du lyrage, une forme négative de valorisation aiguë. Car celui qui se plaint n’affiche-t-il pas un soupçon de supériorité intellectuelle, capable de départager le gris du très gris et ne se contentant pas de ce qui satisfait les foules vite rassasiées de calories vides? Heureux les creux…

Non, l’être critique est à la fois sensible et particulièrement circonspect, recherchant une forme de perfection et de justice qui ne s’apparente pas au monde des hommes, mais plutôt à celui des anges.

Et de quoi se plaint-on, hormis de la météo et ses bobos? Mais de ses problèmes, bien sûr! Qui n’en a pas? Se plaindre nous hisse au statut de victime et nous entoure d’une aura particulière : ciblé, élu, spécialement visé par le grand électrochoc existentiel. C’est bien ma veine, j’attire la foudre. Et tout le monde n’a pas le génie de Benjamin Franklin d’inventer le paratonnerre. Ce même Benjamin disait que ceux qui se plaignent le plus sont ceux qui sont le moins à plaindre. Il tenait peut-être une grande vérité difficilement brevetable.

Je ne parlerai pas de tous mes problèmes (le contenu de prédilection de la plainte), qui sont aussi les vôtres. J’aime bien cette vieille boutade juive: « Ne raconte pas tes problèmes aux autres: 80% des gens s’en fichent et le reste est content. »

Il y a une forme d’élégance ou de stoïcisme à redécouvrir dans cette attitude faite de retenue et de Tylenol extrafort. À quoi bon se plaindre de ce qui afflige déjà notre prochain?

Mais alors, que reste-t-il à dire?

Ben voilà. Y a plus rien à dire. Circulez! Surtout lorsqu’on fait le métier de soulever la poussière et de brasser le purin, quand ce n’est pas de colporter les ragots. J’ai des collègues qui m’ont affirmé que relever un tel défi leur ferait perdre leur emploi et peut-être même le sens de leur existence. En fait, j’ai lu l’essai de Will Bowen, père d’un mouvement planétaire A complaint free world.org et dont le livre vient de paraître en français sous le titre 21 jours sans se plaindre.

Rien qu’avec le titre, vous avez un résumé assez fidèle de l’ouvrage. Ensuite, munissez-vous d’un bracelet ou d’un élastique que vous enfilez autour du poignet. Chaque fois que vous émettez une plainte, médisez ou critiquez dans le vide (les critiques constructives et les débats à l’Assemblée nationale sont permis), vous changez le bracelet de poignet.

Lorsque vous aurez atteint 21 jours con-sé-cu-tifs sans vous plaindre… vous ne gagnez rien. Mais vous aurez perdu la sale manie, pour vous-même et votre entourage reconnaissant, de vous répandre en négativité socialement acceptable.

Comme disait mon ami Aristote: « Nous sommes ce que nous faisons à répétition. » Pour parvenir à 21 jours sans se plaindre, cela prend généralement de quatre à huit mois. Je n’y suis pas encore arrivée, mais j’essaie fort sans grande crainte de devenir jovialiste. En fait, cela prend plutôt la forme d’une certaine mauvaise foi et j’arrive à éviter de changer mon bracelet de poignet en jouant sur les mots.

– C’est pas une plainte! Je donne mon opinion. – C’est une critique constructive. – Je relativise! – J’exerce mon libre arbitre!

– C’est la semaine de prévention du suicide! – Je ventile! – C’est pas un reproche, je pose une question! – Je râle… comme le faon! – Je réclame (tel le faucon)!

Le vrai con, lui, continue à se plaindre.

L’année de la chèvre

Remarquez, nous avons peut-être aussi une autre excuse pour nous lamenter ou geindre encore un peu : c’est l’année de la chèvre chez les Chinois. Voilà une année plombée d’avance. On m’avait d’ailleurs déconseillé d’accoucher une année de la chèvre, un animal méprisé. Mais bon, mettre bas avec quatre mois de retard, c’était beaucoup me demander. Écoutez une chèvre et vous comprenez tout. Elle béguète et chevrote. Je m’appelle Blanchette, c’est dans la famille.

Ceux qui se réclament de ce signe pourront continuer d’afficher un air affligé ou doloriste. La vie est difficile pour eux, mais ils survivent chaque jour au combat du grand méchant loup. Ils pourront tenter de participer au concours de la meilleure victime même s’il devient gênant de s’apitoyer sur son triste sort devant tous les véritables exclus de la Terre. Et il y en a de plus en plus, semble-t-il.

N’oublions pas une chose, se plaindre est contagieux. Vos enfants, si vous en avez, ne tarderont pas à vous tendre le miroir désolant de votre comportement et à vous imiter. Je songe à tous ces descendants de journalistes et de politiciens qui ne s’en sortiront pas indemnes. Même la progéniture des humoristes n’y échappe pas. Y a pas plus chialeux qu’un humoriste, sous couvert de vous faire sécher les dents. C’est bien pour cela qu’on les aime tant. Ils nous permettent de faire sortir le méchant.

On connaît tous des gens qui ne voient jamais de problèmes nulle part, que des solutions partout. Et d’autres qui lyrent en sol majeur à coeur de jour avec un air prostré, même quand ils rentrent de vacances.

Au moment où vous lisez ces lignes, je me plains probablement de la chaleur quelque part sur une plage, en buvant du jus de papaye trop sucré. L’année dernière, à la même date, j’étais dans un lit d’hôpital, branchée de partout, à jeun, me réveillant après une opération de quelques heures. Me plaindre? Je n’y ai jamais pensé à ce moment-là. J’étais bien trop surprise d’être encore en vie.

Comme quoi c’est le manque de perspective qui émousse la reconnaissance.

Qui évite les plaintes invite le bonheur

L’homme a inventé le langage pour satisfaire son profond besoin de se plaindre

Semaine de relâche

On l’appelle la relâche, mais on surstimule souvent les enfants par peur de l’ennui. Le magazine Time rapportait récemment que la méditation pleine conscience utilisée avec des enfants de quatrième et cinquième année (trois minutes de méditation trois fois par jour et des exercices d’éveil sensoriel) améliore leurs notes en mathématique de 15 %. Les enfants étaient 24 % moins agressifs en quelques mois. On les a également incités à pratiquer la gratitude entre eux, une belle alternative au lyrage. Leurs compétences sociales en étaient améliorées de 24 %. Pour aider dans cette pratique à la maison, j’ai reçu un livre fort bien fait : Mon cours de relaxation pour les enfants de Stéphanie Couturier (Marabout). Accompagné d’un CD de 20 séances de relaxation, il peut aider à trouver le sommeil et calmer les esprits anxieux ou agités. Pour l’âge, je dirais trois à dix ans, selon les exercices. On peut adapter pour les plus vieux.
Adoré Blaise et le Kontrôleur de Kastatroffe de Claude Ponti (L’école des loisirs). En ce début de relâche scolaire, rien ne vaut un Ponti lu en famille. Cette dernière mouture est réussie et nous ramène les poussins dans leur maison, détruite par la foudre. Ils pourraient s’en plaindre mais ils sont ingénieux, ces poussins. Ils se construisent un tout-compris pas mal extra dont seul l’imaginaire délirant de Ponti pouvait accoucher. Un autre classique à ajouter à la collection.

Reçu Gérer les emmerdeurs même quand il faut faire avec de Mike Leibling (Solar). Ça fait un moment que je veux caser ce livre. On y donne des astuces pour gérer toutes les pathologies ordinaires avec lesquelles il faut frayer : les colériques, les angoissés, les raseurs, les tyrans, les icebergs, les négatifs, les troublés, les impatients, les impulsifs, les bourreaux de travail, les insatisfaits, etc. Rien sur les râleurs, dommage. Mais pour le reste, tous les patrons et les chefs de quelque chose devraient se procurer ce bouquin qui va droit au but.

Aimé le livre Choisir sa vie. 101 expériences pour saisir sa chance de Tal Ben-Shahar. On demeure dans le self-help, l’ouvrage coup de pouce. L’auteur, expert en psychologie positive et surnommé «professeur du bonheur» à Harvard, a déjà écrit des best-sellers, dont L’apprentissage du bonheur. Il nous propose à chaque idée une alternative : «Être fataliste. Ou se dire que cela ne va pas durer.» «Tenir bon coûte que coûte. Ou lâcher prise.» «Faire la tête. Ou sourire.» «Considérer les bonnes choses comme allant de soi. Ou apprécier les bons côtés de la vie.» Bref, un livre de chevet très utile. Ordonnance du docteur Blanchette : une expérience par jour. Dans 101 jours, vous risquez de moins vous plaindre, ou d’avoir envoyé valser le livre.


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